Pollution : Les écoles étouffent

Tir groupé d’alertes contre la mauvaise qualité de l’air, alors que la loi d’orientation des mobilités est en discussion au Sénat. Les premières victimes sont les plus vulnérables, notamment les enfants.

Ingrid Merckx  • 3 avril 2019 abonné·es
Pollution : Les écoles étouffent
© photo : Un groupe scolaire à Paris, dans le XIIIe arrondissement.crédit : Gilles Targat/AFP

Mon école est-elle polluée ? Après le scandale révélé le 10 janvier 2018 par l’association Robin des bois sur la pollution des sites et des sols situés sous des établissements scolaires, c’est la pollution de l’air aux abords des écoles qui fait l’objet d’une campagne de dénonciation. Le 28 mars, l’association Respire a mis en ligne une carte interactive (1) renseignant des mesures de pollution devant les écoles franciliennes. « Sur les 12 520 établissements scolaires d’Île-de-France, 682 étaient exposés à des niveaux de pollution de l’air dépassant les normes légales de dioxyde d’azote (NO2) en moyenne annuelle », note l’association. Parmi ces établissements, 548 (80 %) se trouvent à Paris, 125 en proche couronne et 9 en grande couronne. « Le facteur principal semble être la proximité des axes routiers, relève Respire_. Le NO2, qui est un gaz toxique, est -principalement produit par les moteurs, qui sont responsables de 71 % de l’impact sanitaire lié aux transports en région parisienne, selon une récente étude de l’International Council on Clean Transportation (ICCT), l’ONG qui a dévoilé le scandale du diesel. »_ Plus le trafic est dense, plus l’air devant les établissements est pollué. Sachant que les taux sont fonction de l’emplacement, de la géographie alentour, de l’architecture, etc., des établissements proches peuvent ainsi afficher des niveaux d’exposition différents.

« La pollution atmosphérique est composée de matières gazeuses et de matières particulaires (les PM) », rappelle le journaliste Jean-Christophe Brisard dans son enquête Irrespirable (2). Les PM les plus dangereuses sont les fines et les ultrafines : restant en suspension, elles sont davantage inhalées. « En ce qui concerne les particules, un seul établissement dépasserait les seuils légaux de PM10, et aucun pour les PM2,5 », révèle l’enquête de Respire. Mais ces seuils sont à prendre avec des pincettes : « Si on considère les recommandations de l’OMS (10 µg/m³ au lieu de 25), 11 427 établissements dépassent les seuils PM2,5, soit 91 % des écoles de la région, et 6 257 dépassent les seuils PM10 (20 µg/m³ au lieu de 40), soit 49 % de l’ensemble », met en garde l’association.

Bonne nouvelle : sur les six années recensées, les taux baissent. « Cela prouve que les mesures de lutte contre la pollution sont efficaces et qu’il faut les accentuer ! » a réagi Olivier Blond, président de Respire, en évoquant notamment la mise en place de zones à faible émission (ZFE) et les restrictions de circulation. Mauvaise nouvelle : les seuils en France sont moins exigeants que ceux fixés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La France fait d’ailleurs l’objet de mises en demeure de Bruxelles depuis 2009 pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. Le 17 mai 2018, la Commission européenne a décidé de renvoyer la France devant la Cour de justice de l’Union européenne sur ce motif. La pollution de l’air tue environ 500 000 personnes en Europe chaque année, dont 48 000 en France, a précisé l’OMS – 67 000, selon Olivier Blond. Elle fait dix fois plus de victimes que les accidents de la route et représente un tiers des infarctus et des AVC dans le monde. Elle entraîne des maladies respiratoires chez les plus vulnérables. En priorité les travailleurs exposés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les fœtus et les enfants : asthme, retard du développement pulmonaire, mais aussi problèmes cognitifs, baisse de QI… « Maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer), leucémie de l’enfant, autisme… », complète Isabella Annesi-Maesano, épidémiologiste (Inserm), dans l’enquête de Jean-Christophe Brisard.

« L’étude de Santé publique France (3) qui fait référence sur la mortalité associée à la pollution de l’air en France calcule ainsi que, si l’on ramenait les niveaux de PM2,5 aux seuils recommandés par l’OMS, on sauverait au moins 17 000 vies par an », martèle Respire en invitant chacun à s’emparer du sujet via ce « premier inventaire » : « Connaître la valeur de pollution à l’abord de son établissement peut permettre d’“entrer dans la sphère de l’action” », espère Olivier Blond, qui publie Respirez (4), un bilan sur cette crise sanitaire.

Les niveaux mesurés à Paris sont bien pires qu’en petite couronne. L’école la plus exposée se trouve dans le ventre, rue Saint-Merri (IVe). « Les niveaux de NO2 atteignent 90 µg/m³ et montrent même une tendance haussière », révèle Respire, qui explique que l’établissement se situe le long d’un axe embouteillé et à la sortie d’une voie souterraine. Bon nombre d’écoles en France, y compris nouvelles, sont implantées sur des zones « à risque ». L’école maternelle Alphonse-Daudet à Courbevoie, qui atteint le seuil préoccupant de 50 µg/m³, souffre également d’une pollution « hyper-locale » : la station-service à proximité. À Lyon, l’école primaire Michel-Servet se trouve à la sortie d’un tunnel de la Croix-Rousse. « Selon les relevés d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes [l’observatoire régional pour la surveillance et l’information sur la qualité de l’air], les enfants (ainsi que le personnel de l’école) respirent des taux de dioxyde d’azote bien au-dessus du seuil de l’OMS », écrit Jean-Christophe Brisard.

Marseille n’a rien à envier à la capitale : la pollution au dioxyde d’azote atteint un niveau « illégal » à proximité immédiate (moins de 50 mètres) de 189 écoles et crèches, soit 22 % de ces établissements, révèle une carte publiée par Greenpeace le 28 mars. La méthodologie diffère de celle observée par Respire. Greenpeace a travaillé à partir des données AtmoSud, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air dans la région, mais sans prendre en compte les collèges, les lycées et les particules fines. Pour l’Île-de-France, Respire a superposé la carte de la pollution de l’air extérieur sur six années avec celle des établissements scolaires relevant du public, en y ajoutant la liste des établissements primaires et secondaires mise à disposition par le ministère de l’Éducation nationale et celle des établissements d’accueil du jeune enfant publiée par la Caisse d’allocations familiales. L’association a complété en géocodant les crèches et les écoles à partir de leurs adresses postales.

La limite de ce travail, regrette Respire, c’est qu’il ne concerne que l’air à l’extérieur des établissements. Avec ses partenaires – FCPE et Réseau action climat (RAC) –, l’association réclame une surveillance de l’air à l’intérieur. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a accepté. Respire voudrait que cette « politique volontariste » gagne d’autres communes. « Une grande partie des établissements scolaires publics construits avant 1997 contiennent encore de l’amiante », signale une enquête de Libération (29 mars). La substance toxique menace d’être libérée aux moindres travaux.

Respire réclame l’intensification des ZFE, la création d’une voie verte sur les autoroutes urbaines régionales, des actions locales et, surtout, la prise en compte des seuils de l’OMS. « On savait que les enfants étaient les premières victimes de la pollution de l’air, mais nous manquions d’un diagnostic, cette carte agit comme un électrochoc ! » a commenté Isabelle Rocca, présidente de la FCPE Paris, qui prépare des kits de vulgarisation. « Les solutions pour lutter contre la pollution de l’air sont les mêmes que contre les émissions de gaz à effets de serre mais réclament du courage politique ! » clame Lorelei Limousin, du RAC. Le 12 novembre 2018, la métropole du Grand Paris a voté la mise en place en juillet 2019 d’une ZFE élargie au périmètre de l’A86, mais seulement la moitié des 79 mairies concernées auraient déjà entamé le processus de consultation.

« Pour chaque enfant un air pur ! » réclament également l’Unicef, le RAC et le WWF dans un rapport qui paraît ce 4 avril sur _« les effets de la pollution de l’air en ville sur les enfants ». Enjeux de tous ces tirs groupés : interpeller les citoyens mais surtout les pouvoirs publics à l’occasion de la présentation du projet de loi d’orientation des mobilités. L’examen en première lecture a démarré au Sénat le 18 mars. « Le Sénat n’a pas adopté d’amendement visant à réduire les subventions à la pollution du transport routier et du transport aérien », a dénoncé, le 26 mars, un collectif d’ONG, dont le RAC, France nature environnement et Greenpeace. Amendements attendus pour « rectifier le tir » : la fin des ventes de voitures diesel et essence neuves à un horizon 2040, voire 2030, le droit pour tous les salariés au « forfait mobilité durable » et le renforcement des ZFE. Sans quoi, le poison va rester dans l’air.


(1) respire-asso.org

(2) Irrespirable. Le scandale de la qualité de l’air en France, Jean-Christophe Brisard, First éditions, 2019.

(3) « Analyse des gains en santé de plusieurs scénarios d’amélioration de la qualité de l’air en France continentale », Mathilde Pascal et al., Santé publique France, 2016.

(4) Respirez ! Solutions pour lutter contre la pollution de l’air, Olivier Blond, Eyrolles, 2019.

Écologie
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