Rêves d’Europe

Un recueil bilingue français et allemand rassemble les grands textes qui ont inspiré le projet démocratique européen.

Olivier Doubre  • 29 mai 2019 abonné·es
Rêves d’Europe
© photo : Au lendemain de la grande boucherie de 1914-1918, Stefan Zweig veut encore croire à l’union ndes peuples. crédit : Leemage/AFP

Alors que nous venons de voter aux élections européennes, Juliette Charbonneaux, maîtresse de conférences au Celsa (Sorbonne), a fait, avec le soutien de la Fondation Heinrich-Böll, œuvre de généalogie de ce qui fut d’abord un « rêve » enthousiaste, puis le projet d’union européenne. 

On commence ainsi avec Victor Hugo, quelques mois après la Révolution de 1848, qui affirma sa conviction européenne dans un discours fameux et visionnaire au Congrès de la paix, à Paris, le 21 août 1849. « Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples », s’enflammait ainsi, plein d’espoir, l’écrivain. Puis on relit avec plaisir la Déclaration de l’indépendance de l’Esprit, de Romain Rolland, parue dans L’Humanité, après que le grand pacifiste a recueilli les signatures de Stefan Zweig, l’un de ses plus proches amis, Albert Einstein, Henri Barbusse, Bertrand Russel ou Hermann Hesse. Au lendemain de la grande boucherie de 1914-1918, il fait un appel solennel aux « travailleurs de l’Esprit », « séparés depuis cinq ans par les armées », pour « reformer notre union fraternelle, mais une union nouvelle, plus solide et plus sûre que celle qui existait avant ». On sait malheureusement que son vœu restera lettre morte, l’Europe ne tardant pas à reprendre la voie de la violence et de l’embrasement.

Stefan Zweig veut encore y croire, mais met aussi en garde les habitants du Vieux Continent, dans La Désintoxication morale de l’Europe, contre les risques majeurs de catastrophe qui le guettent. Signe des temps, il aurait dû prononcer ce texte à la Fondation Volta, à Rome, mais enverra finalement son texte sans s’y rendre ayant appris que, parmi les invités, figurait un certain Hermann Göring… On (re) découvre aussi avec plaisir les envolées lyriques de militants italiens, en exil forcé sur une île au large de Rome, sous Mussolini, rêvant eux aussi en 1941 d’une « Europe libre et unie ».

Ces désirs de paix et de liberté sont encore ce qui guide ceux qui seront les vrais bâtisseurs du marché commun puis de l’Union que l’on connaît aujourd’hui : Jean Monnet, Robert Schuman, Louise Weiss, Simone Veil, jusqu’à Mitterrand, Kohl et Václav Havel. L’idée est belle et continue de mettre en mouvement la réunification allemande et l’élargissement à l’est après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique.

Seul regret, après ces lectures certes enthousiasmantes, le manque d’un contrepoint critique sur l’Europe actuelle, entre ingouvernabilité d’une Europe à 28 (enfin, sans doute 27, après que le Brexit sera effectif) et surtout diktats néolibéraux d’une libre concurrence généralisée mettant en danger les droits sociaux et les services publics. Des sujets qui écornent franchement la belle idée d’une Europe de paix et qui, les inégalités croissant toujours davantage, pourraient se retourner contre son « rêve » fondateur.

Les grands textes qui ont inspiré l’Europe/Die bedeutendsten Texte, die Europa inspiriert haben, Juliette Charbonneaux (dir.), Les petits matins/Heinrich Böll Stiftung Paris, 264 pages, 14 euros.

Idées
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