« Roubaix, une lumière », d’Arnaud Desplechin [Compétition]

L’auteur de Ma vie sexuelle… aborde la question sociale avec un regard fait de pitié.

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2019
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« Roubaix, une lumière », d’Arnaud Desplechin [Compétition]
Shanna Besson.

On aurait pu croire que Roubaix, une lumière, présenté en compétition, serait l’occasion pour Arnaud Desplechin d’une plongée dans la ville où il est né. Le cinéaste, à travers une fiction, aurait pu raconter une relation intime, faire des allers et retours entre la cité qu’il a connue et celle d’aujourd’hui, témoigner de ses sentiments proches et lointains, lui qui n’y vit plus depuis longtemps. Fausse piste. « Roubaix est la plus pauvre des cent premières villes de France », apprend-on dès les premières minutes. À l’épicentre de l’action : un commissariat, où, comme l’on sait, défile toute la misère du monde. Ainsi, pour la première fois, Arnaud Desplechin aborde directement la question sociale. Avec un point de vue annoncé d’emblée : outre que le mot « lumière » figure dans le titre, celui-ci apparaît au générique avec en surimpression un autre terme, en anglais : « Oh Mercy ! » C’est-à-dire « Oh pitié ! » Soit un regard sur la misère tout en commisération et en charité chrétienne.

Les deux personnages principaux de policiers sont présentés comme étant à l’exact opposé : le commissaire Daoud (Roshdy Zem), Roubaisien depuis toujours, s’appuie sur son expérience pour faire parler son intuition, qui ne se trompe guère ; le lieutenant Coterelle (Antoine Reinartz), jeune recrue tout juste arrivé dans la ville, n’a aucun flair. Pourtant, ils sont les deux faces d’une même figure. Avec Daoud, Desplechin a voulu camper un flic taiseux, faisant ouvertement référence au cinéma de Melville dans le dossier de presse. Mais Daoud ne cesse de parler pour évoquer ses souvenirs d’enfance, et surtout pour expliquer la vie et la biographie des suspects. Du genre narrateur omniscient, doté de la connaissance compréhensive – même si ses commentaires sont en réalité chargés de poncifs. Coterelle, quant à lui, est un intellectuel adepte de Nelson Mandela, lecteur de Levinas, un croyant qui à défaut de rentrer dans les ordres a intégré les forces de l’ordre (sic). Personnage tout à fait plausible, n’est-ce pas ? Ces deux-là sont faits pour s’entendre. L’humanité – surtout les pauvres – est à sauver : ils sont là pour ça.

Ils vont s’y employer avec Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier). Les deux jeunes femmes, droguées et lesbiennes, sont soupçonnées du meurtre de leur voisine, une vieille dame de plus de 80 ans. Une grande partie du film consiste à montrer leur garde à vue et les interrogatoires qu’elles subissent – avec, sommet de l’invraisemblance, une reconstitution du meurtre sans passer par un juge ; mais pourquoi s’embarrasser avec ces détails ? Daoud et Coterelle se relaient auprès de l’une et de l’autre, compatissants envers ces âmes fragiles qui se sont perdues en commettant l’irréparable. Les séances d’interrogatoire relèvent moins de la recherche d’aveu que de la confession. « Sauve-toi : parle ! », est l’injonction favorite des policiers. « Le salut est dans le commissariat » eût pu être un autre titre de ce film improbable et mou, qui permet à Arnaud Desplechin de prendre la tête (à égalité avec André Téchiné) du classement du nombre de sélections dans la compétition parmi les cinéastes français, avec six participations. Une bénédiction !

Baisse de régime, donc, dans la compétition, d’autant que le film de Xavier Dolan, Matthias et Maxime, lui aussi entré en lice, s’est avéré bien faible. Mais cette journée n’est qu’un petit accroc dans une sélection de haut niveau, comme on n’en n’avait pas vu depuis longtemps. Outre les œuvres saluées ici, si le temps n’avait pas été compté, il aurait aussi fallu traiter de Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, du Lac des oies sauvages, de Diao Yinan, d’Une vie cachée, de Terrence Malick ou de Once Upon a Time… in Hollywood, de Quentin Tarantino, quatre films notables. Reste deux jours de festival, et, sur le papier (Bellocchio, Suleiman…), encore de belles perspectives.

Temps de lecture : 4 minutes
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