Chemins croisés

Dans Mon histoire avec Robert, Patrice Robin raconte comment son existence et ses livres se tissent avec les films du documentariste états-unien Robert Kramer.

Christophe Kantcheff  • 25 juin 2019 abonné·es
Chemins croisés
© crédit photo : Hélène Bamberger/P.O.L

Les derniers livres de Patrice Robin sont des récits de rencontres. Une place au milieu du monde (2014) évoque les adolescents de milieux déshérités qui participaient à ses ateliers d’écriture. Des bienfaits du jardinage (2016) parle des malades mentaux avec lesquels le jardinage a été, pour lui, un mode d’approche. Mon histoire avec Robert relate une rencontre d’un tout autre type : le Robert en question est le cinéaste Robert Kramer. Parce que celui-ci est un fameux documentariste, et que Patrice Robin a fait sa connaissance alors qu’il travaillait pour un groupement de cinéma dit « de recherche », ce livre pourrait être saturé de cinéphilie. S’il n’en est pas dénué, Mon histoire avec Robert reste en cohérence avec la démarche littéraire de l’auteur, chez qui l’esthétique et le politique sont liés – tout comme chez Kramer, d’ailleurs.

Patrice Robin et Robert Kramer n’ont été en présence l’un de l’autre qu’une seule fois, en vue de l’organisation d’une rétrospective. Quatre mois plus tard, le réalisateur disparaissait subitement. La rétrospective prévue se transformant en hommage, Robin s’est plongé dans l’œuvre, les écrits et les entretiens de Kramer. Il s’agit donc surtout d’une rencontre a posteriori, de l’homme comme de son œuvre.

S’il n’y a pas de meilleure rencontre avec un artiste qu’en s’imprégnant avant tout de ce qu’il (a) fait, celle-ci est particulièrement puissante, à haut degré de résonance. Bien qu’il en soit éloigné biographiquement, Patrice Robin, en toute modestie, se découvre de nombreux points communs avec lui. Il y a, par exemple, les personnes vers lesquelles Kramer a tourné sa caméra : celles des classes populaires, milieu dont l’auteur est issu et qui est aussi, pour l’essentiel, au cœur de ses livres. Et peut-être avant toute chose, le cinéaste, qui a bourlingué aux quatre coins du monde pour filmer des populations en lutte et en prise avec l’Histoire, l’incite à mesurer ce qu’il en est de ce même rêve porté en lui à l’adolescence mais qu’il n’a pas mis en pratique.

Mon histoire avec Robert est ainsi construit de manière très originale. Au fur et à mesure des films qu’il revisionne, Patrice Robin revisite des moments de sa vie, enlaçant les images posées sur la pellicule et celles de sa propre existence, dans un écho, qui n’élude pas les différences, fortement évocateur. Le cinéma de Kramer n’est pas ici un modèle – puisque ce récit s’élabore a posteriori – mais un révélateur, une façon pour Patrice Robin de jeter sur sa vie et sur ses livres un regard neuf. Cette confrontation entre le cinéma, la biographie et la littérature est absolument passionnante.

Ainsi passe-t-on de Doc’s Kingsdom (1987), où un médecin américain, politiquement engagé depuis les années 1960, exerce dans un hôpital des faubourgs de Lisbonne, au port du Havre, où habite alors l’auteur, rappelant les efforts qui furent faits naguère dans cette ville pour mettre en relation les travailleurs et la culture. Ou de People’s War (1969), qui montre la guerre du Vietnam côté peuple et Vietcongs, aux ateliers d’écriture que Patrice Robin a animés dans le Nord, en particulier dans un centre médico-psycho-pédagogique de la banlieue lilloise (qui apparaît dans Une place au milieu du monde), où « tous tentaient de remettre ces adolescents sur les rails, de pallier les insuffisances des parents, de l’école, de l’État, tous livraient, sans se décourager, parfois avec succès, leur modeste guerre du peuple, pour le peuple ».

Puis Mon histoire avec Robert bascule dans une autre dimension : un récit de voyage. Par deux fois, au printemps 2016 et, surtout, à l’automne 2017, l’auteur, invité par le conseiller culturel de l’ambassade de France à Caracas, se retrouve plongé dans l’âpre réalité du Venezuela. Il va enfin exaucer son rêve d’adolescence, découvrant entre-temps que le premier film auquel Robert Kramer a participé s’intitule FALN (1965), sur une branche militaire du Parti communiste du Venezuela. Rien n’est jamais achevé, écrit en substance Patrice Robin. La preuve. Peut-être même n’a-t-il pas fini de rencontrer Robert Kramer…

Mon histoire avec Robert, Patrice Robin, éditions POL, 128 pages, 13 euros.

Littérature
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