Désobéissance civile : ils se paient la tête de Macron

Une « organisation » de dangereux malfrats utilisent la « ruse » pour dérober les photos présidentielles dans les mairies afin de souligner l’absence de politiques climatiques. Mais le parquet ne rie pas.

Vanina Delmas  • 5 juin 2019 abonné·es
Désobéissance civile : ils se paient la tête de Macron
© photo : L’autre phase de l’opération : balader le président sur le terrain, pour lui montrer les aberrations écologiques en cours.crédit : Guenole LE GAL

Bourg-en-Bresse, dans l’Ain, le 28 mai. Six personnes étaient jugées pour « vol en réunion et par ruse » et risquaient jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Ces dangereux malfrats avaient participé deux mois plus tôt à l’action de « réquisition » du portrait d’Emmanuel Macron qui trônait dans la salle des mariages de la mairie de Jassans-Riottier. Au tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, l’assistance a vu se jouer sous ses yeux la confrontation ubuesque entre deux mondes : celui des défenseurs du vivant, prêts à agir illégalement pour alerter sur l’urgence écologique, et celui de la justice étriquée qui ne voit que des délinquants à la barre. « Un tribunal n’est pas une tribune ! » a grondé le procureur, les accusant de faire partie d’un plan « préparé par une organisation », à la « dimension nationale, organisationnelle, concertée, pensée ». Sourires non dissimulés dans la salle.

Cette organisation inconnue du procureur n’est autre qu’ANV-COP21, pour Action non-violente, née en 2015, en prévision de la COP 21 à Paris. Considéré comme la « jambe action » du mouvement climat, quand Alternatiba est la « jambe sensibilisation », le collectif voit ses rangs grossir depuis quatre ans, ses messages et ses méthodes se propager sur tout le territoire français. « Nous avons senti que les gens étaient beaucoup plus disposés à faire des actions de désobéissance civile non-violente, quitte à être poursuivis en justice. Dans notre réseau, nous avions également envie de monter d’un cran après avoir visé les banques », raconte Rémi Donaint, l’un des porte-parole d’ANV-COP21. Une seule question comptait : comment faire réagir le gouvernement ? L’idée est venue de lancer un appel à décrocher les portraits présidentiels présents dans les mairies, les murs vides incarnant l’absence de politique solide pour lutter en matière écologique et sociale. « Certains peuvent trouver l’action potache, mais la symbolique est forte, et nous attaquons aussi l’image d’Emmanuel Macron, qui se veut le grand écologiste à l’échelle mondiale. » Suivant l’engouement autour de l’Affaire du siècle et des marches pour le climat, la campagne « Sortons Macron » est un succès instantané : 58 portraits « réquisitionnés » en trois mois. Un démarrage plus fort que pour le fauchage des chaises dans les agences BNP Paribas en 2016. Leur prochain objectif : collecter 125 portraits pour le G7 à Biarritz, fin août. 125, comme le nombre de jours que la France met pour utiliser toutes ses ressources naturelles annuelles (1).

Les « décrocheurs de portraits » qui font trembler la République sont de tous les âges, de tous les milieux sociaux et « apartisans mais plutôt à gauche ». « Nous ne sommes pas des super-héros ou héroïnes du climat ou de la militance, mais de simples citoyens qui ne peuvent pas faire autrement que de réagir », clamait Anne-Sophie Trujillo (lire le verbatim) quelques heures avant son procès. Aux côtés de cette consultante en humanitaire se trouvaient un maraîcher bio, une professeur de mathématiques, un futur restaurateur, un cadre de la SNCF et un retraité du ministère des Finances. Tous partagent la même inquiétude face au « péril climatique » et la dégradation à vitesse grand V de la biodiversité. « J’ai conscience des risques, mais j’ai plus peur de ne plus vivre dans ce monde que d’un procès ! » résume Raphaël, 24 ans, membre du groupe orléanais. Après des actions de sensibilisation sur les importations d’huile de palme par Total, ou des actions antipub, les militants du Loiret ont décroché le portrait à Saint-Jean-de-la-Ruelle, début mars, puis l’ont emmené en balade à Mardié, où un projet de pont routier menace l’espace naturel des bords de Loire, puis sur les terres agricoles de Saint-Jean-de-Braye, fragilisées par les projets d’aménagement du territoire de la métropole orléanaise. Trois militants sont poursuivis en justice. Procès le 13 septembre.

L’autre phase de l’opération : balader le président de papier sur le terrain, pour lui montrer les aberrations écologiques en cours. En Alsace, cette action a particulièrement parlé aux militants qui ont subi le mépris des responsables politiques pendant la période de lutte la plus intense contre le projet de grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. « Nous avons échangé avec le préfet, les cabinets des ministres, mais tous ces intermédiaires nous répondaient qu’ils pouvaient seulement nous écouter et transmettre notre message. Par contre, Vinci a un accès direct aux décideurs ! C’est comme s’ils nous disaient que nous ne parlerons jamais à une vraie personne, mais seulement à un portrait ! » s’insurge Michaël Kugler, militant et adhérent à EELV. Ils ont donc décidé de balader sur le tracé du GCO le portrait décroché à Kolbsheim, et chaque participant en a profité pour dire ce qu’il avait sur le cœur à ce président sur papier glacé. Trois militants, dont Michaël Kugler, passeront en procès le 26 juin.

Parfois les maires ne peuvent s’empêcher de participer. Il y a les édiles bienveillants qui laissent faire, et ceux qui dénudent eux-mêmes les murs de leur mairie, comme Jean-Paul Terrisse. Élu depuis 2014 de la commune d’Omont (Ardennes), cet ex-EELV considère aujourd’hui la désobéissance civile comme une « voie nécessaire ». « Nous pouvons nous permettre ce genre d’actions en France car, au pire, on peut prendre des amendes ou du sursis. Ce n’est rien comparé à ce que subissent les écologistes dans certains pays du monde », relativise cet ancien objecteur de conscience. Son déclic : le ras-le-bol du décalage entre les grands discours nationaux et la réalité vécue par les intercommunalités. Dernièrement, l’agence locale de l’énergie et du climat, liée à l’Ademe (2), a vu ses subventions d’État baisser.

La réponse étatique a été aussi rapide que le succès de la campagne, à coups de convocations au commissariat, de gardes à vue et de perquisitions pour savoir où sont les portraits et quand ils seront rendus. « Quand Macron tiendra ses engagements pour lutter contre le réchauffement climatique », répondent-ils en chœur. « Disproportionné ». Le mot revient souvent dans les témoignages. Pour preuve, la mobilisation du bureau de lutte antiterroriste inscrite dans une circulaire envoyée aux gendarmeries, révélée par Le Monde. Ou les convocations de journalistes locaux pour témoigner. Ou encore les 29 heures de garde à vue effectuées par les militants basques de Bizi ! le 28 mai. Ce jour-là, des policiers et des gendarmes ont procédé eux-mêmes à des décrochages dans certaines mairies pour mettre les précieuses photos à l’abri. Cécile Marchand, chargée de campagne climat pour l’ONG Les Amis de la Terre, passera en procès à Paris le 11 septembre. « Pendant mes 10 heures de garde à vue, j’ai réalisé la force de la non-violence, car nous nous sommes retrouvés face à des policiers qui n’avaient pas envie de nous gérer et ne nous voyaient pas du tout comme des délinquants, analyse-t-elle. Nous posons un dilemme à nos adversaires : “Faut-il renforcer la répression car ils s’attaquent à un symbole ? Faut-il leur laisser cette tribune ? Faut-il les laisser faire, mais cela insinuerait qu’ils ont raison ?” » Une victoire que les militants climat clameront autant que possible lors des neuf autres procès (3) avant la fin de l’année.


(1) Le 15 mai en 2019.

(2) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(3) 26 juin à Strasbourg (69), 27 juin à Bonneville (74), 2 septembre à Lyon (69), 11 septembre à Paris, 13 septembre à Orléans (45), 9 octobre à Mulhouse (68), 4 novembre à Grenoble (38), 17 décembre à Saint-Étienne (42).


Anne-Sophie Trujillo 46 ans, jugée le 28 mai à Bourg-en-Bresse (Ain)

« J’ai conscience depuis toujours que nous sommes des prédateurs sur la planète, mais le côté effondrement ne m’est apparu réellement qu’en 2018 : le rapport du Giec a été un coup de massue. Lors du procès, nous avons plaidé l’état de nécessité, car c’est la réalité ! Juriste de formation, j’ai travaillé dans l’humanitaire et j’ai vécu au Moyen-Orient, au Sénégal, au Mali, au Cap-Vert. Là-bas, la pauvreté est structurelle et les conditions de vie sont liées au dérèglement climatique. Tu apprends à moins consommer, tu découvres la nature de chaque pays, et le décalage avec cet Occident de la surconsommation apparaît dans toute sa splendeur. Le retour en France m’a abasourdie. En 2015, le tour Alternatiba a fait étape chez moi, à Villefranche-sur-Saône. J’ai aimé leur manière de travailler, cadrée, rassurante et je me suis lancée. Décrocher le portrait de Macron a fait sens tout de suite chez nous, pour la symbolique du vide. Nous vivons dans un “territoire de marge”, politiquement à droite, voire à l’extrême droite, et très rural. Les habitants ont peur de tout changement, même la génération des trentenaires ! Nous étions conscients des risques encourus. Quand ça t’arrive, tu as un coup de chaud, mais si on n’est pas dans l’action, qu’est-ce qu’on fait ? »

Nicolas Orsier en procès à Bonneville (Haute-Savoie) le 27 juin

« Mon rapport à la nature s’est développé très tôt, surtout avec les montagnes à proximité. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes s’installent dans la région pour travailler en Suisse, donc les problèmes de ressources en eau apparaissent. Idem avec les gros bassins de rétention d’eau qui servent à alimenter les canons à neige. J’ai vu cette dégradation de mon environnement au fil des ans. J’étais militant dans ma façon de consommer, j’ai participé à quelques manifestations quand j’étais étudiant, mais j’étais plutôt un suiveur. Il y a deux ans, j’ai ressenti le besoin d’en faire plus. J’ai participé au camp climat 2017, où j’ai découvert Alternatiba et ANV-COP21. Le contexte d’urgence m’a motivé à agir. Je suis menuisier-charpentier dans une Scop de trois associés, je peux me libérer du temps pour militer, que ce soit pour les campagnes nationales d’ANV-COP21 ou des luttes locales, comme la pollution de l’air dans la vallée de l’Arve. Le 8 mars, nous avons décroché le portrait présidentiel dans quatre mairies : Sallanches, Passy, Saint-Gervais-les-Bains, Domancy. J’ai eu droit à une perquisition, une audition libre puis une convocation pour le procès, qui se déroulera le 26 juin. Sept autres personnes sont poursuivies. C’est absurde ! Nous sommes plus des lanceurs d’alerte que des délinquants ! »

Écologie
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