Elaine Mokhtefi, ambassadrice des luttes
L’infatigable militante livre son témoignage du bouillonnement révolutionnaire et anticolonialiste de l’Algérie d’après 1962, entre anecdotes et grande histoire.
dans l’hebdo N° 1556 Acheter ce numéro

Paris, 1er mai 1952. Une jeune New-Yorkaise, d’origine juive, assiste au défilé syndical Bastille-Nation. Elaine Klein est arrivée quelques mois plus tôt, après quatorze jours d’une traversée mouvementée sur un petit bateau néerlandais jusqu’à Rotterdam. Pancartes, banderoles se succèdent, indiquant les appartenances des manifestants par profession et organisation syndicale. Mais, soudain, le défilé s’achevant, des milliers d’hommes accourent pour y participer. « Je les revois encore, comme si c’était hier, courir après la manif ! » se souvient-elle aujourd’hui. Dans son livre de souvenirs, elle écrit : « Ils avançaient en cadence, les bras tendus […]. Sans discontinuer, de plus en plus passaient devant moi – jeunes, sombres, maigres et pauvrement vêtus. Ils ne lançaient pas de slogans, ne portaient ni drapeaux ni banderoles. C’étaient des ouvriers algériens. »
Arrivée avec une vision de la France « patrie-des-droits-de-l’homme », qui avait accueilli sans discriminer aussi bien les GI’s noirs que des intellectuels « de couleur » comme Richard Wright, Chester Himes ou James Baldwin, Elaine réalise, « ce jour-là, que les Français n’étaient pas aveugles à la couleur de peau ». Et d’écrire, soixante ans plus tard : « Voilà la première d’une série d’étincelles qui allait soulever et aiguiser ma rage. Quelque chose me faisait associer ces hommes maigres, basanés, qui couraient sur le faubourg Saint-Antoine, aux Noirs que j’avais observés, lorsque j’étais étudiante en Géorgie