Le bon grain journalistique et l’ivraie militante

Selon Le Monde, Taha Bouhafs met du militantisme dans son métier, alors que Bernard Guetta non.

Sébastien Fontenelle  • 19 juin 2019 abonné·es
Le bon grain journalistique et l’ivraie militante
© photo : Taha Bouhafs crédit : Yann Castanier / Hans Lucas / AFP

L’autre jour (c’était le 13 juin), Le Monde, « quotidien de référence », a mis en ligne, sur son « site de référence », un article dont le titre était : « Le journaliste militant Taha Bouhafs (1) poursuivi pour “outrage”, son téléphone mis sous scellé ».

Le Monde – il faut y insister un peu – ne présentait donc pas Taha Bouhafs (2) comme « journaliste » et « militant », mais bien comme un « journaliste militant » : c’est donc sa pratique du journalisme qui était, là, très distinctement, définie comme militante. Sur quel(s) critère(s), exactement, se fondait ce jugement ? Le Monde, dont la « charte d’éthique et de déontologie (3) » stipule notamment que « le » vrai bon « journaliste » (qui est donc forcément un garçon) ne doit surtout « jamais confondre » son noble métier « avec celui », dégoûtant, « du propagandiste », ne le disait nulle part dans l’article dont il est ici question.

Mais cette assertion suggérait, évidemment, que Taha Bouhafs, quant à lui, n’est pas un vrai bon journaliste, puisqu’il met du militantisme dans son métier (4) – et le confond par conséquent avec celui du propagandiste.

Or il arrive que Le Monde fasse preuve de – beaucoup – plus d’aménité. Au mois de novembre dernier, par exemple, il avait mis en ligne un autre article (5), consacré à l’annonce que Bernard Guetta, ex-chroniqueur eurolâtre à France Inter, figurerait sans doute sur la liste du parti macroniste aux élections européennes – et qui était sobrement titré : « Le journaliste Bernard Guetta candidat LRM aux élections européennes ? » Adoncques, vu depuis Le Monde, le merveilleux petit univers des gens de presse se divise en deux, mon ami·e. Entre, d’une part, les mauvais sujets comme Taha Bouhafs et, de l’autre, les irréprochables professionnel·le·s, type Bernard Guetta, qui, pétri·e·s d’éthique, ne se compromettent jamais dans le militantisme – et se contentent plutôt de s’enrôler par exemple dans le parti droitier de MM. Castaner et Macron (liste non exhaustive).

Et il ne fait nul doute que les journalistes du Monde se tiennent – évidemment – du bon côté de la barrière qui sépare ainsi le bon grain journalistique de l’ivraie militante. De sorte que, lorsque les éditoriaux anonymes de cette vénérable publication célèbrent les « réformes » gouvernementales ou proclament (6) que MM. Macron (chef de l’État) et Philippe (Premier ministre) ont magnifiquement « géré, avec » une admirable « habileté, une rentrée sociale qu’on [leur] promettait explosive », ce n’est bien sûr pas de la propagande – allons, allons, qu’allais-tu encore t’imaginer ?


(1) Le Monde précisait que « M. Bouhafs » est « connu pour avoir filmé Alexandre Benalla en train de malmener un couple place de la Contrescarpe à Paris, le 1er mai 2018 ».

(2) Qui se présente lui-même, sur Twitter, comme « journaliste » et « militant des quartiers populaires ».

(3) J’essaie de l’écrire sans pouffer.

(4) Dois-je préciser que, pour ma part, je plonge dans de longues ricaneries à chaque fois que quelqu’un·e essaie de me raconter des histoires d’« objectivité journalistique » ?

(5) Comme l’a très judicieusement (et malicieusement) relevé @Besot_Dessins sur Twitter.

(6) Au mois d’octobre 2017.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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