Jour de gloire

À Biarritz, le monde a assisté à une représentation parfaitement scénarisée de la comédie du pouvoir. Mais Emmanuel Macron et ses collègues ont tout de même laissé échapper une vérité. Ils ont écarté ce qui devait être l’essentiel de l’ordre du jour : la lutte contre les inégalités.

Denis Sieffert  • 28 août 2019
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Jour de gloire
© crédit photo : Bertrand GUAY / AFP

C’est entendu, le G7 a été un succès, et Emmanuel Macron, en grand ordonnateur du sommet, a connu son jour de gloire. Le monde, pour peu qu’il ait regardé dans cette direction, a assisté à une représentation parfaitement scénarisée de la comédie du pouvoir. Avec juste ce qu’il faut d’improvisation maîtrisée, quand l’Iranien maudit fut, brièvement mais spectaculairement, autorisé à paraître. Seul bémol, invisible par définition, le théâtre avait préalablement été vidé de ses spectateurs. Biarritz était comme une ville morte. Quant aux opposants, ils avaient été tenus à distance ou purement et simplement interdits. Les dirigeants du monde se savent aujourd’hui si populaires qu’ils doivent se réunir dans un huis clos militarisé. Il fallait cela pour que le succès fût assuré. Il fallait aussi que les acteurs jouent le jeu, qu’ils n’oublient pas leur texte, qu’ils ne sortent pas de leur rôle de faire-valoir. Cela a été réussi par le maître des lieux au prix de débordements d’affection et, disons-le, de flagorneries, qui se sont parfois apparentées à des concessions politiques. Comme lorsque le président français a trouvé de surprenantes vertus à la position de Donald Trump dans le dossier du nucléaire iranien. La diplomatie cultive l’art du compliment mais, ordinairement, la flatterie à ce point n’en fait pas partie. Ayant éliminé le public, et neutralisé son impétueux hôte américain, Emmanuel Macron a pu briller à bon compte.

Il a également été servi par un intrus lointain, le Brésilien Jair Bolsonaro. Par comparaison, la vulgarité de ce dictateur refoulé a fait de Donald Trump un convive d’une exquise délicatesse. Et son mépris pour l’environnement a permis au président français d’apparaître comme un écologiste résolu. On aura habilement oublié les quelque 360 000 hectares de forêt guyanaise accordés à des multinationales minières par le gouvernement français. Mais Bolsonaro, par sa personnalité autant que par sa politique de déforestation, a au moins rendu impossible la signature par la France du désastreux traité Mercosur, un moment envisagée par l’Élysée. Comme si, un seul instant, le doute sur la nature de cet accord avait pu être permis ! Sur le reste, ce G7 a surtout été riche en promesses. La promesse d’une taxe internationale sur les Gafa pour 2020. Et la promesse d’une « modernisation » des règles du commerce international. Nous n’avons pas le droit de considérer ces engagements comme négligeables. Instruits par l’expérience et, plus encore, par la nature du système, nous pouvons seulement douter que ces choses se fassent un jour dans une proportion qui change quoi que ce soit à l’ordre du monde.

Le capitalisme a cette vertu qu’on ne saurait lui contester : la plasticité. Elle lui permet de survivre à ses crises en empruntant, quand il le faut, le vocabulaire de ses adversaires. Lorsqu’on entend Bruno Le Maire dénoncer « le capitalisme tel que nous l’avons connu au XXe siècle [qui] a conduit à la destruction des ressources naturelles et à la croissance des inégalités », on se pince pour y croire. Heureusement, le ministre de l’Économie ne tarde pas à nous ramener à une logique qui nous est plus familière en concluant que ce capitalisme, « il faut le refonder ». Pour assurer sa pérennité, le système a besoin de contorsionnistes comme Bruno Le Maire et Emmanuel Macron. À Biarritz, le président français et ses collègues du G7 ont tout de même laissé échapper une vérité. Ils ont écarté ce qui devait être l’essentiel de l’ordre du jour : la lutte contre les inégalités. Le capitalisme sait s’adapter. C’est son génie. Mais il n’oublie pas ce qu’il est. La France, si exemplaire dans les sommets internationaux, est aussi ce pays recordman des versements de dividendes aux actionnaires. Cela au détriment du travail. Comment parler d’inégalités après cela !

Un bon point « diplomatique » tout de même à Emmanuel Macron, il faut y revenir. Son invitation lancée en plein G7 au ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. « Si c’est ça que vous voulez, allez-y ! », lui aurait lancé un Donald Trump décidément de bonne humeur. Cela a suffi pour que le président français pense avoir créé « les conditions d’une entrevue et donc d’un accord » entre le président iranien Hassan Rohani et Donald Trump. « Si les circonstances le permettent », a négligemment commenté ce dernier. La tentative est louable, même si on peut s’attendre à ce que l’irascible milliardaire, repris en main par son entourage néoconservateur, balaie tout ça d’un tweet vengeur dans les prochains jours. Comme on doute que Vladimir Poutine ait été convaincu par de quelconques arguments humanitaires. D’ailleurs, pendant qu’il échangeait des propos aigres-doux avec Emmanuel Macron, à la veille du G7, ses avions bombardaient la population syrienne d’Idlib. Trump et Poutine sont capables d’entendre, sans sourciller, toutes les recommandations du monde. Mais on ne fait pas boire des ânes qui n’ont pas soif. Au total, le président français aura bien profité de ces journées. Il sera temps, dans quelques semaines ou quelques mois, de tirer le bilan véritable des promesses de Biarritz. On peut prévoir qu’Emmanuel Macron aura alors d’autres soucis, avec sa réforme des retraites. Et il regrettera peut-être qu’on ne puisse pas toujours tenir les peuples à l’écart.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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