Le feu qui cache la forêt

Pour André Rebelo et Matthieu Ponchel du collectif Climat social, le désastre en cours en Amazonie est le résultat d’une politique économique raciste et spéciste concertée, pensée et voulue.

André Rebelo  et  Matthieu Ponchel  • 23 août 2019
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Le feu qui cache la forêt
© Crédit photo : nChico Batata / DPA / dpa Picture-Alliance

En livrant la forêt amazonienne aux entreprises et aux défricheurs en tout genre, Bolsonaro a favorisé l’émergence de feux de forêts gigantesques dont certains défraient désormais la chronique après des mois de silence.

Le collectif Climat social est animé par des militants et des militantes de l’écologie sociale, conscient.e.s des liens fondamentaux entre les fins de siècles et les fins de mois, des citoyen.ne.s engagé.e.s ayant la conviction qu’il faut un mouvement capable de porter l’écologie et la solidarité au sein des luttes.

Si la sécheresse et la dégradation globale du climat aggravent le phénomène, aucun de ces incendies n’est naturel. Lorsqu’ils ne sont pas le fait d’orpailleurs illégaux à qui l’élection du nouveau président aura donné des ailes, la plupart des départs de feu sont allumés par des propriétaires terriens, soucieux d’élargir leurs champs de soja et leurs pâturages pour remplir l’estomac des bêtes en même temps que celui des Occidentaux. Encouragés par la politique de dérégulation lancée par Bolsonaro, ils promettaient, le 10 août dernier, un « dia do fogo », un jour du feu.

C’est dans ce contexte de libéralisation des pratiques d’exploitation en tout genre que les incendies deviennent de plus en plus incontrôlables jusqu’à baigner São Paulo d’un effrayant brouillard noir, incarnant terriblement bien une catastrophe en cours depuis longtemps.

Alors même que Bolsonaro n’avait jamais caché ses intentions de voir l’Amazonie mise au service de la croissance économique, personne n’a jusqu’ici fait écho à la guerre désespérée des populations d’Amazonie, dernier rempart contre la surexploitation que les politiques racistes et libérales de Bolsonaro auront définitivement radicalisé. Depuis des années, les leader indigènes sont assassinés les uns après les autres par des milices de plus en plus tolérées à la solde d’éleveurs de plus en plus avides, de sorte que pour la seule année 2017, 57 défenseurs des terres indigènes perdaient la vie en territoire amazonien (1).

Une spoliation générale en cours depuis des siècles

C’est dans cette guerre sourde de conquête vorace que se nichent pourtant les racines du problème. Nulle ne peut contester que l’abandon des politiques de préservation est intimement lié au dédain violent du gouvernement brésilien envers les populations indigènes, que si le climatonégationnisme de Bolsonaro est réel, il est opportunément servi par un racisme pur que le silence médiatique a tout aussi bien protégé.

Nous regardons donc les forêts d’Amazonie disparaître en pensant à notre monde qui s’arrache sous nos pieds sans voir que celui-ci ne s’effondre que parce qu’il a refusé de voir la spoliation générale en cours depuis des siècles. Pire, nous pouvons constater que si l’indignation se tourne enfin vers l’Amazonie, elle ne s’attarde jamais sur le second poumon de la terre, au Congo, où l’indifférence permet de laisser libre cours aux ravages des milliers d’incendies déclarés tous les ans en Afrique.

Entre 2002 et 2012, les incendies en Afrique subsaharienne, et notamment dans le bassin du Congo ont représenté 70 % de la superficie brûlée dans le monde selon la NASA (2). Ils ravagent toujours les terres africaines dans des proportions folles sans qu’aucun focus ne viennent alarmer les consciences du nord où les incendies sont un fait-divers de nos feuilletons d’été.

La Terre ne semble donc brûler que parce que chaque étincelle choisit prestement son bois tandis que le regard des indignés d’Occident se trouble de tous les privilèges sur lesquels la mondialisation économique les laisse plus ou moins reposer.

© Politis

Au Congo aussi, la mécanique destructrice se joue sur fond d’accaparement des terres, de constructions abusives de mines, d’exploitation renforcée des sous-sols que de multiples filiales d’entreprises occidentales poursuivent sans relâche jusqu’à la déviation finale des profits ainsi créés vers l’Europe, les États-Unis, la Chine… La spoliation des terres des uns sert à l’accroissement des richesses des autres, et c’est ainsi que le capitalisme boucle le cercle infernal du néocolonialisme.

La loi du profit n’est pas celle de la vie et le fascisme qui se donne pour mission de faire le lit du néolibéralisme l’a très bien compris. Le splendide réservoir naturel de l’Amazonie est d’abord soluble dans les lois du marché qui entraînent tous les jours des milliers de personnes dans la destruction programmée de nos deux poumons verts.

Les populations locales auraient été laissées à leur sort, si elles n’étaient pas assises sur les derniers remparts qui font face à la voracité maladive du capitalisme. Puisqu’il ne survit que s’il croît, ses besoins de conquêtes sont naturels, que des populations soient oubliées, que le vivant soit méprisé est une nécessité claire à sa survie et, à travers lui, à la survie de ceux qui en contrôlent les rouages directement ou indirectement.

Incendie général du monde

De là découle la nécessité de s’interroger fortement sur les raisons de notre richesse tout autant que de notre confort : si c’est la consommation générale de viande qui explique en partie la course des propriétaires terriens vers l’agrandissement infini de leur pâturage en Amazonie, ce sont nos entreprises qui déciment les forêts d’Afrique sur fond de points de croissance brandis par les gouvernements occidentaux en mal d’électorat.

Le capitalisme ne se heurte donc pas seulement aux limites naturelles de la planète, mais à sa propension massive à ne pouvoir survivre et à ne démontrer son « efficacité » au quart de la population mondiale que sur fond de production et reproduction d’inégalités partout où il puise sa force, chez tou.te.s les pauvres et les oublié.e.s du monde.

© Politis

En d’autres termes, le désastre auquel nous assistons avec frayeur n’est ni un épiphénomène, ni un événement nouveau, mais le résultat d’une politique économique raciste et spéciste concertée, pensée et voulue. Cette catastrophe nous oblige à penser les défis à venir dans une multi-dimensionnalité nécessaire où racisme, sexisme, fascisme, climatonégationnisme, lutte des classes et libéralisme se lient indubitablement pour creuser la sépulture du vivant.

Nous pouvons gloser sur les feux du mois d’août tant que le focus médiatique s’y prête, mais nous ne pouvons oublier l’incendie général du monde que le capitalisme et le fascisme attisent tous les jours aux frais de politiques néocoloniales, racistes, sexistes, spécistes et libérales. Chaque recul des droits est lié à un recul du vivant. Chaque recul du vivant attise les fumées sombres du fascisme.

La spirale est donc globale et la lutte sera totale ou ne sera pas.


(1) Chiffres disponible sur le site de Global Witness.

(2) « MODIS has demonstrated that some 70 percent of the world’s fires occur in Africa, and more than 50 percent of the total area burned in the last two decades has occurred on that continent, due largely to the extensive burning of savanna grasslands during the dry season. »

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