« Ne croyez surtout pas que je hurle », de Frank Beauvais : silence on crie

Franck Beauvais livre un récit autobiographique et cinéphile.

Christophe Kantcheff  • 24 septembre 2019 abonné·es
« Ne croyez surtout pas que je hurle », de Frank Beauvais : silence on crie
© crédit photo : Les Bookmakers / Capricci Films

Auteur de courts métrages remarqués, Frank Beauvais signe avec son premier long métrage une œuvre intimiste, autobiographique et, en même temps, nourrie de (presque) tous les films du monde. Explication : deux pistes distinctes – comme on le dit d’un enregistrement de musique – mais cheminant ensemble constituent Ne croyez surtout pas que je hurle.

Il y a d’une part le récit (1), déroulé par la voix du réalisateur, des quelques mois que Franck Beauvais a passés seul, en 2016, dans un village alsacien situé dans le parc naturel régional des Vosges du Nord, son compagnon l’ayant quitté. « L’exil loin de Paris est subi maintenant, donc, ici où la généreuse opulence de la nature parvient à dissimuler, à l’œil non exercé, la raideur parfois protestante, presque immanquablement droitière, de ses habitants. » Le narrateur mène une vie de reclus, en proie à l’apathie et à l’affliction. Écœuré par la lâcheté des gouvernants, inquiet du bruit de bottes qui revient et intéressé par certains mouvements comme Nuit debout, il est encore attentif à l’actualité, mais à distance.

La seconde piste est ce qui apparaît à l’image. Abattu, Frank Beauvais n’a qu’une seule activité, addictive : il regarde des films à longueur de journée et de nuit. C’est dans ces films-là (plus de quatre cents), de toutes sortes et origines, qu’il a puisé pour constituer un montage d’une heure vingt-cinq, en résonance avec son récit. Le dialogue entre son et images est assez littéral. On est loin, en cela, de Godard. L’image agit comme métaphore, donne une dimension onirique au marasme des affects étreignant le narrateur, ou instaure une distance souvent mordante.

Il n’y a pas d’autonomie des deux pistes ; au contraire, les deux s’électrisent. D’où l’absence de complaisance mais le sentiment d’une rage, froide et angoissée. Frank Beauvais émet bien un hurlement, mais à bas bruit, tranchant et lancinant.

Ne croyez surtout pas que je hurle, Frank Beauvais, 1 h 25.


(1) Texte du film aux éditions Capricci, 65 pages, 8 euros.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes