Quand respirer tue

Les effets sanitaires et le coût de la pollution de l’air font l’objet de recherches toujours plus nombreuses. Sept millions de décès seraient dus aux particules fines chaque année dans le monde.

Emmanuel Drouet  • 11 septembre 2019
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Quand respirer tue
© photo : Des activistes de l’ANV-COP 21 organisent un « die-in » contre la pollution de l’air, le 4 juin 2019, à Paris. crédit : STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

La pollution de l’air extérieur, les mauvaises habitudes alimentaires et les risques métaboliques, comme l’hypertension, provoquent désormais bien plus de décès dans le monde que les facteurs de risque classiques tels que la pollution microbienne de l’eau ou la malnutrition maternelle et infantile. Ce phénomène, appelé « transition épidémiologique », constitue un immense champ de recherche scientifique et sociologique. Le coût socio-économique de la pollution de l’air est considérable. Et l’on sait maintenant que la pollution à long terme est probablement encore plus grave que les pics de pollution.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié le 16 juillet un rapport précis mentionnant les risques sanitaires des différents polluants de l’air, parmi lesquels les particules fines en suspension figurent comme un des principaux responsables (1). Ces particules, notées PM (pour « Particulate Matter »), sont classées en fonction de leur diamètre aérodynamique exprimé en micromètres (µm). Celles qui sont analysées en routine par les appareils de surveillance de la qualité de l’air sont de diamètre 10 µm : elles sont notées PM10 et on les qualifie de particules « grossières ». On parle de particules fines à partir d’un diamètre inférieur à 2,5 µm (PM2,5). Les particules PM10 et PM2,5 ont été les plus étudiées. Un champ de recherche considérable est ouvert pour étudier les effets des nanoparticules PM0,1.

La relation de causalité entre exposition aux particules et mortalité a été établie de façon formelle par de nombreuses études. Il en est de même pour les effets pulmonaires et cardio-vasculaires. Les effets neurologiques et ceux sur la grossesse et la reproduction font encore l’objet de nombreuses études. Quelques-unes indiquent déjà un effet probable des particules, sans pouvoir encore conclure définitivement.

Comment étudie-t-on les effets des particules fines sur la santé ? « La toxicologie permet d’étudier les effets des polluants sur la santé à partir de modèles mathématiques ou expérimentaux, à l’échelle cellulaire, tissulaire ou parfois chez l’animal », explique le docteur Vincent Danel dans un article de l’Encyclopédie de l’environnement (2). Mais aussi l’épidémiologie, « c’est-à-dire l’étude des rapports entre les maladies et les facteurs ». Une évaluation quantitative d’impact sanitaire (EQIS) a établi une relation pour la France entre exposition aux PM2,5 et mortalité. Cette étude estime que 48 000 décès par an sont imputables à cette pollution – ce qui correspond à 9 % de la mortalité – et qu’ils seraient évitables « si la pollution aux PM2,5 due aux activités anthropiques était partout la même en France que celle des communes rurales les moins polluées ». Il s’agit bien d’une modélisation, et il faut prendre ce chiffre comme une estimation du poids de la pollution aux particules sur la mortalité. Dans ce scénario, les personnes de 30 ans gagneraient en moyenne 9 mois d’espérance de vie, et même deux ans dans l’agglomération parisienne.

Ces résultats sont cohérents avec les estimations européennes et internationales. Ainsi, l’Agence européenne de l’environnement a estimé en 2018 (3) que 35 800 morts prématurées en France sont dues chaque année à l’exposition aux PM2,5, soit un impact beaucoup plus important que celui des oxydes d’azote et de l’ozone. Ce chiffre est de 391 000 pour l’ensemble de l’Union européenne. L’OMS estime qu’environ 7 millions de personnes meurent chaque année dans le monde à cause de l’exposition aux particules fines.

Selon les polluants étudiés, les types de coûts et les valeurs tutélaires retenus, le coût social annuel de la pollution atmosphérique en France est estimé entre 20 et 100 milliards d’euros, rappelle une enquête du Sénat (4) sur « le coût de l’inaction ». La pollution de l’air intérieur coûterait près de 20 milliards d’euros par an d’après l’Anses et l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Le seul coût de la pollution de l’air pour le système de santé français est évalué chaque année entre 1 et 2 milliards d’euros, auquel s’ajoutent les dépenses relatives aux rentes versées au titre des maladies professionnelles, d’un montant d’un milliard d’euros.

En 2018, le groupe de travail sénatorial a rappelé que la pollution atmosphérique constituait une urgence sanitaire et un enjeu socio-économique majeur. Les dépenses qui seraient engendrées par la mise en œuvre de mesures drastiques de réduction de la pollution seraient très inférieures au coût socio-économique engendré par cette même pollution.

Emmanuel Drouet Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble.


(1) « Particules de l’air ambiant extérieur. Impact sur la pollution atmosphérique des technologies et de la composition du parc de véhicules automobiles circulant en France », Anses, 2019.

(2) « Particules en suspension dans l’air : leurs effets sur la santé », Vincent Danel, L’Encyclopédie de l’environnement.

(3) « Air quality in Europe », Agence européenne de l’environnement, 2018.

(4) « Pollution de l’air : le coût de l’inaction », Leila Aïchi, rapport n° 610, déposé le 8 juillet 2015.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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