Syndicats : Retrouver le goût de la victoire

La réforme des retraites est propice à une mobilisation sociale forte et massive, à condition que les forces politiques de gauche trouvent la stratégie adéquate pour répondre à une addition des mécontentements.

Erwan Manac'h  • 18 septembre 2019 abonné·es
Syndicats : Retrouver le goût de la victoire
© photo : Le 13 septembre, les syndicats de la RATP ont réussi une mobilisation inédite en douze ans.crédit : Samuel Boivin/NurPhoto/AFP

La retraite n’est pas un sujet comme les autres. La mobilisation des agents de la RATP, inédite en douze ans, le 13 septembre, l’a démontré en préliminaire d’un bras de fer qui s’annonce homérique. Elle a apporté la preuve, également, que la température sociale est au moins équivalente à celle qui avait donné naissance à des grands mouvements sociaux nationaux contre les précédentes réformes des retraites, en 1995, en 2003 et en 2010.

Le gouvernement s’avance néanmoins vers cette épreuve de vérité avec quelques signaux positifs. Le noyau militant français est rincé par deux années de macronisme et une litanie de défaites, y compris lorsqu’il parvenait à mobiliser, par exemple contre la loi travail Pénicaud en 2017. « Nous venons d’avoir une réforme absolument sans précédent de l’assurance chômage, souligne également Mathieu Grégoire, sociologue_. Tous les syndicats ont eu des mots très forts pour la dénoncer, mais tout le monde a détourné le regard. »_ A contrario, les dernières victoires significatives ont été obtenues hors champ par les gilets jaunes, qui soulignent en creux une certaine impuissance du mouvement social traditionnel.

Les syndicats accueillent donc la réforme des retraites comme une occasion de se requinquer, tant le sujet est fédérateur et leur partition syndicale semble facile. Sur le fond, l’unanimité est en effet quasi totale et les mots sont durs contre une réforme qui pose les bases d’un système en pilotage automatique, ou quasiment, favorisant un ajustement du régime par une baisse des pensions. À l’exception notable de la CFDT, qui s’est dite prête à soutenir la réforme à condition que la majorité accepte d’arrondir les angles (en renonçant à un recul de l’âge de départ et à des économies immédiates, notamment).

Cette unité d’analyse n’a pas permis aux syndicats d’éviter une cacophonie certaine : Force ouvrière invite à la mobilisation le 21 septembre pour un traditionnel meeting de rentrée, tandis que la CGT avait programmé, dès la remise du rapport Delevoye, sa propre journée de mobilisation trois jours plus tard. Les contacts restent toutefois rapprochés entre les organisations, notamment la « bande des 4 » (CGT, FO, Solidaires et la FSU), qui doit tenir avec les mouvements de jeunesse une première réunion intersyndicale dans la semaine du 30 septembre. La détermination est maximale, mais les choix stratégiques sont cornéliens. « Si nous voulons bloquer cette réforme, il faudra sérieusement s’en donner les moyens, car le précédent mouvement de 2010 était considérable mais n’a pas permis un recul du gouvernement, prévient Pierre Khalfa, de la Fondation Copernic. Il faut trouver des formes d’action adaptées à chaque secteur, avec des moyens de lutte qui correspondent à la place que chaque salarié occupe dans la production, tout en aménageant des moments de convergence. »

Les syndicats doivent également trouver le bon tempo. Partir trop tôt, c’est risquer de rater l’ancrage local du mouvement et d’accumuler les flops dans la rue. Partir trop tard, c’est courir le risque d’un nouveau débordement par les bases militantes, comme lors des deux mouvements sur les lois travail, avec Nuit debout en 2016 et le Front social l’année suivante, ou plus encore depuis un an avec l’éclosion du mouvement des gilets jaunes. La CGT est donc en train de consulter sa base. Tandis que le Front social, qui regroupe depuis 2017 les électrons libres militants de toutes les familles de la gauche, s’interroge lui aussi sur une manière de renaître. « Que ce soit le LKP en Guadeloupe, le mouvement guyanais de 2017 ou les gilets jaunes, tous nous ont montré qu’il fallait partir de la base territoriale, avec un mouvement “all inclusive” qui accepte tout le monde sans regarder les appartenances militantes », estime Laurent Degousée, de SUD Commerces et du Front social.

La question des régimes spéciaux devrait faire naître plusieurs fronts, et les professions libérales, elles, portent une revendication presque inverse de celle des salariés : elles s’indignent des hausses de cotisation qu’induirait la réforme, alors que les syndicats de salariés craignent une baisse des pensions. « Une convergence [avec les indépendants] paraît compliquée, mais rien n’est impossible. Le dossier des retraites est très particulier. Il cristallise tous les mécontentements », prévient Régis Mezzasalma, conseiller CGT sur les retraites.

Les ambivalences de l’Unsa, syndicat favorable au projet macronien, sont là pour en témoigner : le 12 septembre, sa direction nationale honorait un rendez-vous bilatéral avec Emmanuel Macron, privilège réservé dans un premier temps aux deux seuls syndicats favorables à la réforme. Le lendemain, la section Unsa RATP, leader dans l’entreprise publique, organisait une implacable démonstration de force contre cette même réforme. Alors même qu’on pensait le terreau social de la RATP assagi, au regard de l’échec des précédents appels à la grève en solidarité avec les cheminots ou lors de mobilisations inter-professionnelles.

Les syndicats devront donc trouver la stratégie la plus juste pour additionner, et non soustraire, les différents terrains de lutte où les mobilisations s’enracinent. Que ce soit sur le front climatique, avec un agenda chargé, ou dans les luttes sectorielles (éducation, santé, fonction publique, etc.). La CGT de Philippe Martinez se refuse pour l’heure à appeler à la « grève générale », préférant une stratégie des petits pas pour tenter de construire et d’amplifier une somme de mobilisations partout où c’est possible.

Le moment, quoi qu’il arrive, est crucial, souligne Mathieu Grégoire. Dans le système de retraite par points imaginé par Emmanuel Macron, les mesures impopulaires deviennent automatiques, ou semi-automatiques, et laissent donc moins d’espace aux mobilisations sociales. « Si le gouvernement gagne, souligne le sociologue, ce sera un rude coup pour les mouvements sociaux. »


Les points chauds

La fonction publique : Les 85 000 suppressions de postes de fonctionnaires et la réforme du management, imposée au pas de charge, mettent tous les services de l’État et des collectivités sous tension. La direction des finances publiques, en grève très suivie le 16 septembre, doit assumer une large part des suppressions de postes. Elle en a déjà subi plus de 40 000 depuis 2002. Les autres ministères les plus touchés sont la Santé et la Transition écologique et solidaire. D’ici à 2022, ils devraient perdre respectivement 1 080 (– 6,1 %) et 4 961 postes (– 5 %), selon Le Parisien.

Les urgences : La grève des urgences dure depuis six mois pour obtenir notamment la réouverture de lits. Les personnels hospitaliers ont été rejoints le 12 septembre par les médecins urgentistes, en réaction aux annonces de la ministre de la Santé trois jours plus tôt, qu’ils jugent « totalement inadaptées » (intersyndicale des praticiens hospitaliers).

Les pompiers : La grève des sapeurs-pompiers professionnels entre dans son quatrième mois à l’appel de sept des neuf syndicats. Ils demandent des moyens et des recrutements pérennes pour faire face à une surcharge de travail, s’opposent à la réforme de la fonction publique et veulent sauver leur régime spécial de retraite.

Les indépendants : La réforme des retraites ne passe pas auprès des avocats, des infirmiers et des kinésithérapeutes libéraux, des stewards et des hôtesses, qui devront cotiser davantage en perdant leurs régimes spéciaux. Les réserves accumulées par ces caisses autonomes seront également captées par le futur régime unique. Les médecins libéraux perdront, eux, un coup de pouce de l’Assurance-maladie sur leur cotisation, qui les motivait à rester conventionnés. Regroupés dans le collectif SOS Retraites, ils manifestaient le 16 septembre à Paris.

RATP : Après leur démonstration de force du 13 septembre, les agents de la RATP guettent désormais les évolutions du dossier retraites. Opposés à la perte de leur régime spécial (leur retraite est calculée sur les six derniers mois de salaire), ils font aussi face, comme la SNCF avant eux, à une mise en concurrence (en 2024 pour les bus et 2039 pour les métros) qui a commencé à dégrader leurs conditions d’emploi (gel des salaires, régression des droits pour enfant malade, suppressions de postes).

SNCF : Les cheminots sont sonnés par la longue et douloureuse grève du printemps 2018, mais doivent encore renégocier d’ici à la fin 2019 les conditions d’embauche des futures recrues hors statut, et la SNCF doit refonder entièrement sa structure juridique. Des grands travaux inédits et à haut risque.

Économie Travail
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