Fini de discuter, il faut riposter !

Des groupes contestataires d’horizons divers veulent opposer un nouveau front commun à l’autoritarisme.

Oriane Mollaret  • 23 octobre 2019 abonné·es
Fini de discuter, il faut riposter !
© Assa Traoré lors de la marche pour son frère, Adama, le 13 octobre 2018 à Beaumont-sur-Oise. Edouard Richard/AFP

Si, depuis la séquence répressive des gilets jaunes, certains rendent visible et documentent la répression, d’autres organisent la contre-attaque. Habitants des quartiers populaires, lycéens en lutte, activistes écologistes, syndicalistes… Toutes ces forces contestataires ont en commun de voir leur volonté de changer le système se heurter à une répression féroce. Alors, pour sortir de l’isolement et faire face, il faut choisir ses mots, nommer son adversaire. Cette dynamique s’appelle « Ripostons à l’autoritarisme ».

« Il y a un enjeu sémantique. Nous ne voulons pas parler de dérives autoritaires, ça supposerait que tout allait bien avant », argumente minutieusement Andréa (1), impliqué dans la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse). Un constat fort, partagé par Fatima Ouassak, du syndicat de parents des quartiers populaires Front de mères : « J’utilise le terme autoritarisme sans guillemets. Il y a des morts, des mutilés… Et, parmi eux, même des mamans blanches et blondes. Nous n’avons pas l’habitude de voir ça ! La répression des lycéens en décembre dernier illustre également la nature de notre régime. »

Ghaïs, en terminale à Évry (Essonne) l’an dernier, a connu le harcèlement policier. Depuis la fin de l’année 2018 et des blocus contre les réformes du baccalauréat et ­Parcoursup, le lycée Romain-Rolland est dans le collimateur de la police : contrôles répétés aux abords de l’établissement, tutoiements, interpellations violentes… « Des élus locaux nous ont apporté leur soutien, ça n’est pas passé. Le syndicat Alliance a manifesté en réponse. Ces personnes sont censées représenter l’État, mais j’ai peur qu’elles attrapent un lycéen et le défoncent pour l’exemple », s’inquiète le jeune homme. Il a conscience également que lutter contre l’autoritarisme ne se limite pas aux violences. « La répression n’est pas que physique. Des lycéens se retrouvent désormais sans fac à cause des nouvelles réformes. La violence est systémique », expose le désormais étudiant en droit, avant de railler : « Mes professeurs parlent d’État de droit. Pour moi, il n’existe pas. Du moins, pas pour tous. »

Le premier acte de « Ripostons à l’autoritarisme » a marqué ses participants. Le 11 mai, une rencontre nationale contre la répression des mouvements sociaux s’est tenue à la Bourse du travail de Paris, épicentre des luttes dans la capitale. L’enthousiasme de Fatima Ouassak n’a pas fléchi depuis : « Je n’avais jamais vécu ça dans ce genre d’espace. C’était concret, les quartiers populaires étaient là, nous n’étions pas là pour être une caution ou pour décorer. »

Des prémices au goût de victoire, confirmés lors du deuxième acte : la marche du 20 juillet pour Adama Traoré, la troisième, où plusieurs milliers de manifestants se sont réunis à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), dont de nombreux gilets jaunes. _« Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds à Beaumont__»_, remarque Youcef Brakni, du comité Vérité et justice pour Adama.

Difficile de définir les contours de ce groupe protéiforme, et beaucoup de ses membres préfèrent parler de « dynamique ». Mais son utilité apparaît évidente à Éric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires : « Nous avons toujours eu la volonté d’élargir nos luttes, dans lesquelles, malheureusement, la solidarité s’évanouit à la fin du combat. » La question du temps traverse les débats, notamment celui imposé par la répression. « Devoir encaisser coup sur coup, c’est énergivore et moralement dur. Surtout la répression judiciaire, moins spectaculaire, mais plus destructrice à mon sens », témoigne Andréa, le militant de Bure, terrain connu pour constituer un laboratoire de la répression de haute intensité. « Nous devons nous extraire de ce tempo et construire notre propre temporalité », reprend le porte-parole de Solidaires.

Peut-on parler de convergence ? Joe, un gilet jaune de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), tempère : « J’entends tellement cette formule sans qu’en soit creusée la signification… Il faut avancer par étapes. Je donne davantage de sens au terme “alliance”. Nous devons d’abord nous apprivoiser les uns les autres, avant de parler de convergence. » Une analyse partagée par Youcef Brakni : « La convergence suppose de se rapprocher inexorablement vers un centre, je m’en méfie. L’alliance, c’est une égalité. Chacun peut mener sa lutte et garder sa spécificité. » Les mêmes uniformes en face, les mêmes expériences de la rue aux tribunaux, un adversaire désigné. Ça fait déjà pas mal de choses en commun.

(1) Nous avons changé le prénom.