Le « trou de la Sécu », un mythe orchestré

Le gouvernement ponctionne délibérément dans les recettes de la Sécurité sociale.

Sabina Issehnane  • 9 octobre 2019
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Le « trou de la Sécu », un mythe orchestré
© crédit photo : Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

À propos du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déclaré récemment : « Il y a d’autres choses que nous n’avons pas intégralement compensées, ayons l’honnêteté de le dire ; et comme nous ne l’avons pas intégralement compensé, cela se retrouve dans les déficits. » La loi Veil du 25 juillet 1994 a prévu une compensation intégrale de l’État des allègements et exonérations de cotisations sociales aux caisses de Sécurité sociale. L’article L131-7 du code de la Sécurité sociale stipule ainsi que « toute mesure de réduction ou d’exonération de cotisations de sécurité sociale […] donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l’État pendant toute la durée de son application. » Ces allègements du coût du travail, qui n’ont pas prouvé leurs résultats en termes de créations d’emploi, et sont du ressort de la politique de l’emploi, la Sécurité sociale n’a pas à en porter la charge. Même si certains allègements ciblés n’ont pas été compensés dans le passé (principalement les emplois aidés), la loi du 13 août 2004 a étendu ce principe de compensations prévues par la loi Veil. Celles-ci se font principalement par dotations budgétaires jusqu’en 2006, puis à partir de cette date, majoritairement par le biais d’impôts et de taxes affectés à la Sécurité sociale, principalement la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Depuis le rapport Charpy-Dubertret remis en 2018, dans la continuité du PLFSS 2019, le gouvernement revient sur la loi Veil en choisissant délibérément de ponctionner dans les recettes de la Sécurité sociale. Ainsi, ne seront pas compensées les exonérations de cotisations salariales sur les heures supplémentaires, la réduction du taux de CSG sur les pensions des retraités modestes (qui devaient compenser la suppression des cotisations salariales maladie et chômage), ainsi que l’exonération du forfait social (versé sur la participation et l’intéressement) pour les PME prévue par la loi Pacte. La Commission des comptes de la Sécurité sociale évalue à 3,4 milliards les pertes de recettes pour le régime général et le fonds de solidarité vieillesse, ce qui contribue grandement aux 5 milliards d’euros de déficit prévu pour 2019. En soi, que les comptes de la Sécurité sociale aient un solde négatif n’est pas un problème, alors même que les besoins de financements sont immenses. Ce qui interroge, c’est la volonté délibérée d’Emmanuel Macron et de son gouvernement d’orchestrer ce déficit et d’en faire porter le fardeau aux gilets jaunes.

La « politique des caisses vides », appelée aussi « politique des déficits », appliquée ici, consiste pour le gouvernement Philippe à diminuer les recettes des comptes de la protection sociale, en introduisant de nouveaux dispositifs d’allègements de cotisations sans les compenser, dans le dessein de creuser les déficits. Cette politique d’assèchement des recettes de la Sécurité sociale permet de préserver le mythe du « trou de la Sécu » sur toutes les chaînes d’info en continu et ailleurs.

Sabina Issehnane Maître de conférences à Rennes-II

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