« J’accuse », de Roman Polanski : Une certaine idée de l’armée

Dans _J’accuse_, Roman Polanski raconte brillamment comment le colonel Picquart a fait innocenter Alfred Dreyfus.

Christophe Kantcheff  • 5 novembre 2019 abonné·es
« J’accuse », de Roman Polanski : Une certaine idée de l’armée
© Jean Dujardin excelle en Picquart, militaire hors pair.Gaumont Distribution

Il y avait longtemps qu’un nouveau film de Roman Polanski ne nous avait rappelé qu’il est un grand cinéaste. Le réalisateur de Répulsion (1965) et du Pianiste (2002) signe aujourd’hui une autre œuvre de premier plan. Certains ont suggéré que Polanski réalisait ce film pour plaider sa cause, projetant sa propre situation d’homme poursuivi par la justice sur celle d’Alfred Dreyfus (1). Pas sûr qu’une telle lecture, fort réductrice, soit pertinente. -D’autant que le capitaine condamné à la déportation sur l’île du Diable n’est pas le héros de J’accuse. Ni, d’ailleurs, l’auteur de l’article au titre passé à la postérité, Émile Zola. Mais le colonel Marie-Georges Picquart, promu à la tête des services de renseignement militaire peu de temps après la condamnation de Dreyfus.

C’est sur la solennelle cérémonie de destitution militaire du condamné que s’ouvre le film, sous un ciel gris et glaçant. Picquart y assiste. Il connaît Dreyfus pour avoir été son professeur à l’école militaire. Une scène, en flash-back, montre le second interroger le premier à propos d’une mauvaise note qu’il lui a mise. « Parce que je suis juif ? » lui demande Dreyfus. Picquart lui confirme qu’il n’est pas philo-sémite, mais que ses sentiments n’influent guère sur son jugement quand il s’agit d’estimer justement un travail.

Ce moment du film en est la clé. Le colonel Picquart partage l’antisémitisme largement diffusé au sein de la hiérarchie militaire, comme dans le reste de la société. Pourtant, découvrant soudain que la seule « preuve » mettant en cause le capitaine n’en est pas une (le fameux bordereau), il décide de mener l’enquête.

Aidé par son coscénariste, Robert Harris, auteur d’un livre sur l’Affaire, Roman Polanski élabore un thriller aux allures de roman d’espionnage, sans dérive hollywoodienne : on compare des graphies, on surprend des conversations. Cette austérité n’empêche pourtant pas le film de gagner sans cesse en intensité. Les comédiens n’y sont pas pour rien. Une vraie galerie d’acteurs français, le faste du casting ne prenant jamais le pas sur les personnages qu’ils incarnent. À leur tête, Jean Dujardin excelle en Picquart, militaire hors pair. Louis Garrel est un sobre Dreyfus. Tandis que -Grégory Gadebois sort du lot en colonel Henry, le roué subordonné de Picquart, prêt à le trahir quand il s’agit d’obéir aveuglément aux ordres.

Car pour Henry, il n’y a pas de considération supérieure, contrairement à ce qui porte Picquart vers une solitude certaine. Celui-ci a de l’armée une conception sans tache : elle doit être juste et irréprochable. Il mène son enquête, réprouvée par ses supérieurs, au nom de grands principes, sans être entravé par ses préjugés, et fait basculer -l’Affaire à ses risques et périls, qui ne sont pas minces. Cet héroïsme de la pensée d’un homme socialement on ne peut plus conforme fait tout le sel de ce remarquable J’accuse, qui tombe à pic dans notre époque d’humeurs rances et racistes.

(1) En revanche, le cinéaste dit dans le dossier de presse : « Je dois dire que je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’œuvre dans ce film et que cela m’a évidemment inspiré ».

J’accuse, Roman Polanski, 2 h 12. En salle le 13 novembre.

Cinéma
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