Milos Forman : Des débuts en fanfare

Les films réalisés par Milos Forman en Tchécoslovaquie dans les années 1960 ressortent en version restaurée. L’occasion de constater que le cinéaste, disparu l’an dernier, n’a pas attendu de s’exiler aux États-Unis pour éblouir.

Christophe Kantcheff  • 26 novembre 2019 abonné·es
Milos Forman : Des débuts en fanfare
© Les Amours d’une blonde (1965)nNÁRODNÍ FILMOVÝ ARCHIV

On ne cesse de prendre la mesure de l’œuvre de Milos Forman, disparu il y a un an et demi. De son œuvre entière, pas seulement des films qui lui ont valu des Oscars, Vol au-dessus d’un nid de coucou et Amadeus. Voici l’occasion de (re)découvrir ses premiers pas au cinéma, dans les années 1960, quand il était encore en Tchécoslovaquie, où il est né en 1932. Des premiers pas qui sont d’emblée des coups de maître, immédiatement remarqués par ses pairs à l’étranger : que ce soit L’As de pique (1963), Les Amours d’une blonde (1965) et Au feu, les pompiers ! (1967). Ils furent inaugurés par deux moyens métrages, regroupés sous le titre L’Audition (1963), où déjà beaucoup de ce qui caractérise l’esprit et la manière de Milos Forman est visible.

C’est en premier lieu une aspiration à la liberté, soutenue par une grande indépendance de caractère (qui explique -certainement pourquoi Milos Forman n’a réalisé dans sa carrière que douze longs métrages). Formellement, le filmage caméra à l’épaule tranche avec la rigidité académique de la production de l’époque, de même que le montage au rythme saccadé ou syncopé. En outre, une place est laissée à l’improvisation, évidente dans L’Audition et L’As de pique, dont certaines séquences touchent au documentaire. Ce que le cinéaste montre témoigne aussi de son désir d’émancipation : avant tout une jeunesse prête à faire sauter les nombreux carcans la contraignant, même si elle ne sait pas toujours comment s’y prendre.

Milos Forman, alors âgé d’une trentaine d’années, n’est pas seul dans cette voie : d’autres jeunes cinéastes s’y inscrivent. Épaulé par ses coscénaristes Jaroslav Papousek et Ivan Passer, il devient le leader de la Nouvelle Vague tchécoslovaque. Peut-être parce qu’il est le plus frondeur, un état d’esprit qu’il gardera jusqu’au bout, lui dont les parents sont morts dans les camps nazis. Il aura maille à partir avec le régime communiste et ne sera pas avare, ensuite, de représentations critiques des États-Unis, où il s’est exilé en 1968 après l’invasion des troupes soviétiques mettant un terme au Printemps de Prague.

L’irrévérence du cinéaste se manifeste par exemple, dans L’As de pique, par le travail qu’il choisit de donner à son personnage principal, un adolescent de 16 ans. Celui-ci doit surveiller les clients dans une épicerie pour éviter les vols. Au-delà du fait qu’on n’est pas censé voler dans la société socialiste, cette tâche de contrôle fait inévitablement songer à l’espionnage de voisinage, voire au sein des familles, alors en vigueur.

Plus ouvertement, dans Au feu, les pompiers !, les membres du Politburo sont moqués sous les traits des pompiers d’une petite ville, qui, au cours du bal qu’ils organisent, font dérailler le cours des événements avec un improbable concours de miss. L’ironie du Forman tchèque est toujours très présente. Parfois à la limite de la farce, comme dans ce film hilarant, le dernier réalisé dans son pays, dont la censure a restreint la sortie. Ou mêlée à la mélancolie.

C’est le cas des Amours d’une blonde, qui raconte comment une jeune ouvrière de province, tombée amoureuse d’un pianiste, croit sur parole les mots d’amour de celui-ci et se présente, valise à la main, à Prague, là où il habite, c’est-à-dire chez ses parents. Outre la tendresse que le cinéaste a pour les visages des jeunes qu’il filme, souvent en gros plan (et ce, dès L’Audition), notamment ici celui de l’héroïne, Les Amours d’une blonde est une merveille de film féministe. On y entend une cadre sermonner les ouvrières, en vertu de la morale socialiste, sur l’attitude qu’elles doivent suivre avec les garçons – c’est-à-dire ne pas se disperser, alors qu’on trouve naturel qu’un gars séduise plusieurs filles. Les jeunes femmes sont aussi considérées par tous comme des proies, que ce soit par les militaires de réserve qui débarquent près de l’usine à dominante féminine, ou par le pianiste, a priori plus délicat.

Enfin, les quatre films attestent du goût prononcé de Milos Forman pour la musique. Ses œuvres tchèques comportent toutes des bals, des chants, des danses. Pour les possibilités de mise en scène que cela offre. Mais aussi pour la dimension émancipatrice que recèle la musique. « La musique ennoblit l’homme, surtout si on la fait bien », dit un chef d’orchestre dans L’Audition. Une sentence que pourrait signer des deux mains le futur réalisateur de Hair et d’Amadeus. 

L’Audition (1 h 17), L’As de pique (1 h 30), Les Amours d’une blonde (1 h 21), Au feu, les pompiers ! (1 h 10), Milos Forman.

Cinéma
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