La colère d’un « vieux type blanc »

Un nouvel album de Neil Young, toujours aussi engagé pour la défense de la planète.

Jacques Vincent  • 4 décembre 2019 abonné·es
La colère d’un « vieux type blanc »
© DH Lovelife

Sept ans après Psychedelic Pill, Neil Young renoue avec son groupe historique, Crazy Horse, dans une version qui voit le retour de Nils Lofgren en remplacement de Frank Sampedro, lequel semble avoir pris sa retraite à Hawaï. Une formation que l’on pourra peut-être voir sur scène si l’agenda de l’autre patron de Lofgren, Bruce Springsteen, lui en laisse la possibilité. Les plus fétichistes ne manqueront pas non plus de remarquer que le CD s’orne du célèbre rond central du label Reprise comme sur les vinyles d’antan, ceux de Neil Young et de quelques autres comme les Electric Prunes ou Captain Beefheart.

Crazy Horse reste bien le partenaire idéal des mises en scène dramatiques, pourvoyeur d’orages électriques depuis le tragique « Down By The River » de l’album Everybody Knows This Is Nowhere. Celui aussi des jams qui s’étirent et qui, sur scène, montrent deux guitares et une basse au coude-à-coude dans des moments de communion fraternelle qui peuvent étendre sur un quart d’heure l’intro d’un morceau. Neil Young résume l’affaire en disant que Crazy Horse est le groupe le plus cosmique avec lequel il ait jamais joué. Nul doute que ce type d’improvisation collective a été utilisé pour l’enregistrement de ce disque quand on écoute un morceau comme « She Showed Me Love », qui aurait néanmoins gagné à être raccourci – sans doute la magie ne fonctionne-t-elle pas toujours, peut-être a-t-elle besoin de la scène et de la complicité du public pour s’affirmer.

Colorado arrive aussi quatre ans après ce formidable brûlot anti-Monsanto qu’était The Monsanto Years. Et en ligne directe. Neil Young reste un artiste engagé, notamment pour la défense de la planète. Tout au long du disque, ce sera un mélange de propos très directs et d’autres plus abscons, où pointe parfois une certaine nostalgie ou un sentiment de perte inhérent à l’avancée en âge, tourments d’un « vieux type blanc » (« She Showed Me Love ») pas très heureux de la façon dont se comportent certains de ses semblables.

Musicalement, toutes les couleurs du son d’un Neil Young éternel sont présentes : l’harmonica qui fend l’air comme le tranchant d’une brise glacée (« Think Of Me »), les moments d’une électricité poussée dans le rouge, faite de grondements annonciateurs de tempêtes qui ne manquent jamais d’arriver (« She Showed Me Love »), le piano au tempo suspendu, les moments en demi-teinte au rythme retenu, les notes qui se détachent lentement et s’envolent vers les étoiles (« Milky Way »). Et toutes les couleurs et les inflexions de la voix, qui peut aller jusqu’au cri.

L’album va du constat implacable de « Green Is Blue » (« Nous avons entendu les alarmes et les avons ignorées / Nous avons vu le temps changer, les incendies et les inondations / Nous avons vu les gens se lever, divisés / Nous nous sommes combattus en perdant la récompense convoitée / Il y a tellement de choses que nous n’avons pas faites / En sachant que nous devions les faire ») jusqu’à la rage pure de « Shut It Down », dans lequel la violence de la musique est au diapason de celle du propos (« Nous devons abattre tout le système / C’est le seul moyen d’être libre / Abattre tout le système / Recommencer et le reconstruire pour l’éternité »), violence à peine temporisée par les chœurs du refrain et dont on retient surtout la brutalité. Quand la colère ne peut s’exprimer que de la manière la plus basique.

Presque en fin de course arrive « Rainbow of Colours » (« Il y a un arc-en-ciel de couleurs / Dans les vieux États-Unis / Personne ne va les délaver »), qui, dans un tout autre registre, semble réinventer la chanson contestataire entonnée à l’unisson. Par quelqu’un qui se réjouit d’obtenir enfin prochainement la nationalité américaine, cinquante-quatre ans après son arrivée en Californie depuis son Ontario natal, ce qui lui donnera la possibilité de voter lors des prochaines élections. Certainement pas pour le président sortant.

Colorado, Neil Young, WEA.

Musique
Temps de lecture : 4 minutes