Pierre, 43 ans, CRS

« Je partirai à 60 ou 61 ans, sinon ma pension sera beaucoup trop faible. »

Romain Haillard  • 4 décembre 2019 abonné·es
Pierre, 43 ans, CRS
© Frédéric Dides / Hans Lucas/AFP

La police avec nous ? Si, parmi les manifestants de tous poils, tout le monde ne déteste pas la police, l’idée apparaît tout de même comme saugrenue. Mais cet appel lancé ici et là dans les cortèges trouve un début de réponse du côté des bleus. « Nous ne vivons pas en dehors de la société », réagit sèchement Pierre (1) avant de poursuivre : « Nous avons tous dans notre famille des personnes impactées par les réformes ou au chômage. » Une vingtaine d’années de service au compteur, ce CRS promet un sursaut dans la police le 5 décembre.

« Dernière sommation avant black-out ! » Le tract cosigné il y a plus de deux semaines par les syndicats Alliance et Unsa-Police ne fait pas dans la dentelle. Si la loi proscrit la grève pour les policiers, des actions coup de poing sont à prévoir. « Fermeture des commissariats, grève du zèle et des verbalisations », énonce le fonctionnaire syndiqué à Unité SGP Police, sans en dire davantage, préférant rester secret. Pour lui, ne rien faire reviendrait à salir l’uniforme : « J’ai signé un contrat il y a vingt ans, avec des garanties pour contrebalancer la pénibilité et la dangerosité de mon travail. Si ces garanties disparaissent, l’État nous aura trahis. »

Et si le gouvernement sortait le chéquier ? Il l’avait déjà fait, après le 1er décembre 2018, quand l’acte III des gilets jaunes avait tétanisé l’exécutif. Le président de la République avait promis, deux jours après avoir tremblé, une prime exceptionnelle de 300 euros lors d’un déjeuner avec des CRS, son dernier rempart. Mais pas de volte-face à l’horizon pour notre homme de terrain, incrédule désormais : « En off, les gouvernants nous promettent monts et merveilles, mais jamais rien n’est fait. » Lui-même mobilisé professionnellement le 1er décembre, Pierre aurait dû toucher la fameuse prime. Un an après, lui et ses collègues n’en ont toujours pas vu la couleur. Une déception parmi d’autres, après avoir reçu la promesse que les quelque 23 millions d’heures supplémentaires accumulées par les policiers seraient payées. Le gouvernement a annoncé que l’addition serait réglée en décembre. Mais seulement les heures effectuées en 2019 et au tarif horaire le plus bas (2).

Eux aussi pourraient voir leur statut dépiauté par la réforme des retraites. Ces fonctionnaires ont une bonification tous les cinq ans de service dans une limite de cinq années. « Nous la payons par une surcotisation », martèle vivement le quadragénaire. C’est grâce à cette bonification que les CRS, placés dans la catégorie « active » – entendez ceux qui ne sont pas dans les bureaux –, peuvent partir à la retraite à 57 ans. Pierre ne le fera pas. « Je partirai à 60 ou 61 ans, sinon ma pension sera beaucoup trop faible. » Le calcul de leur retraite se fait sur les six derniers mois de service avant le départ à la retraite. Une nécessité pour ces agents, dont le salaire pour les jeunes recrues débute à 1 700 euros net pour finir à 2 500 euros. « Si la pension se calcule sur toute la carrière, nous y perdrons beaucoup », tempête le CRS.

Mais les uniformes connaissent bien d’autres maux. « Nous souffrons d’un sous-effectif. Depuis le début des gilets jaunes, c’est quasi-mission impossible d’obtenir un jour de repos, ils sont donnés au compte-gouttes », témoigne le policier. Lors d’une audition devant le Sénat en 2018, Philippe Klayman, directeur central des Compagnies républicaines de sécurité, illustrait par les chiffres la dégringolade. De 15 500 CRS en 2007, les effectifs ont fondu à 13 200 en 2018.

Avec deux cents jours de déplacement par an, les conséquences sont lourdes. « Les familles de policiers sont sacrifiées, les divorces parmi nous sont légion. Pas de vie sociale, encore moins associative », regrette Pierre.

Le CRS sera sûrement mobilisé ce 5 décembre pour faire face aux grévistes, dont il se sent proche. « Je ne défends pas un président, je protège les institutions. Un président, ça arrive et ça repart », explique-t-il calmement avant de partager ses doutes : « Faut-il arriver au chaos pour être entendu ? Est-ce que ça pourrait être bénéfique au pays ? Je n’en suis pas sûr. » Mais la question lui a traversé l’esprit. Alors, la police avec nous ? Il y a encore du chemin pour voir une brèche dans le rempart. Mais à y gratter un peu plus, on pourrait le voir s’effriter.

(1) Le prénom a été changé.

(2) Soit 11,88 euros net pour tous les agents, l’équivalent du salaire horaire d’un gardien de la paix novice.

Économie Travail
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