Simone Weil ou la recherche de la pureté

Un volume rassemble les textes écrits par la philosophe durant la dernière année de sa vie, en 1942-1943.

Olivier Doubre  • 11 décembre 2019 abonné·es
Simone Weil ou la recherche de la pureté
Portrait non daté de Simone Weil adolescente.
© Whiteimages/Leemage/AFP

Simone Weil (1909-1943) n’aura eu de cesse de tenter de mettre en accord ses convictions avec sa vie. D’origine juive mais d’une famille agnostique, brillante intellectuelle, docte et curieuse, elle est très tôt attirée par le christianisme en tant que religion du sacrifice et du don de soi. Par volonté de confronter son quotidien à son cheminement théorique, à ses recherches intellectuelles et spirituelles et à ses engagements politiques (plutôt libertaires ou proches du communisme de Souvarine, antistalinien), elle n’hésite pas à se mettre en danger, même physiquement. Interrompant en 1934 sa carrière d’enseignante, elle embrasse la « condition ouvrière (1) » et connaît ainsi le travail à la chaîne, chez Alstom ou Renault, la faim, la fatigue, l’angoisse du licenciement. Bien que pacifiste ardente, elle s’engage dans les Brigades internationales en faveur de l’Espagne républicaine en août 1936.

Ayant quitté Paris pour Marseille avec ses parents, Simone Weil essaie dès la fin juin 1940 de rallier Londres et la France libre. En vain. Tout en aidant la Résistance, notamment aux Cahiers du Sud ou aux Cahiers du Témoignage chrétien, elle doit attendre deux ans pour parvenir à s’embarquer pour le Maroc, toujours avec ses parents, et arriver enfin à New York le 6 juillet 1942.

Ce volume passionnant réunit les écrits rédigés outre-Atlantique, où la philosophe semble littéralement torturée par le fait d’être « trop comfortable » (à l’aise), loin « de ceux qui en France se débrouillent comme ils peuvent dans une situation terrible ». Et ne cesse de multiplier ses demandes pour rejoindre Londres – avec succès, enfin, le 14 décembre 1942 –, prête, écrit-elle alors à son frère, à être affectée « à une activité genre chair à canon »

Ces textes, notes, réflexions ou ébauches d’articles, traitant parfois de métaphysique et des interrogations spirituelles ou religieuses de l’auteure, évoquent surtout la situation géopolitique de l’époque, alors que son esprit indépendant l’amène bientôt à rompre avec la France libre, avant d’entrer dans un hôpital du Middlesex, fortement diminuée par la tuberculose (qui l’emporte finalement le 24 août 1943).

Simone Weil fait preuve d’un discernement original pour son temps, analysant « la nature de la guerre » en cours aussi bien qu’elle s’interroge sur un projet de Constitution pour l’après-guerre, la « question coloniale » (plutôt ardue au sein de la France libre), « Marx et le marxisme », le statut de la minorité juive ou le « traitement des prisonniers de guerre noirs dans l’armée française ». Des écrits qui confirment le jugement élogieux à son endroit d’Albert Camus dans la NRF en 1949 : « Une rare élévation de pensée ».

(1) Titre de l’un de ses plus importants ouvrages, publié, comme tous les autres, après la Libération, à l’initiative d’Albert Camus.

Écrits de New York et de Londres. Questions politiques et religieuses (1942-1943). Œuvres complètes (T. V, vol. 1) Simone Weil, sous la direction de Robert Chenavier, Gallimard, 768 pages.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

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