Annie Ernaux

La Nouvelle Revue française publie un texte de l’écrivaine d’une lumineuse acuité.

Christophe Kantcheff  • 29 janvier 2020
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Annie Ernaux
© ULF ANDERSEN / Aurimages / AFP

Le numéro de janvier de La Nouvelle Revue française (NRF) recèle (au moins) une pépite : le texte qu’Annie Ernaux a lu à l’occasion de la réception du prix Formentor 2019, dont elle a été la lauréate. Ce fut l’occasion pour elle d’expliciter ce que son sentiment d’illégitimité sociale a eu pour effet sur son écriture. Ce texte, intitulé La Violence d’écrire, est d’une lumineuse acuité. Annie Ernaux écrit notamment : « Une phrase de Roland Barthes cognait de façon répétée dans ma tête : “Écrire, c’est déterminer l’aire sociale au sein de laquelle on choisit de situer son langage.” » Elle ajoute cette précision, devenue rare aujourd’hui où la théorie est communément condamnée : « La théorie n’est pas l’ennemie de la création littéraire, elle permet au contraire de la penser de façon nouvelle. » Puis elle continue : « C’est cependant à partir de la mémoire d’une sensation que je découvrirai le lieu de mon écriture et la place que je devais y occuper. » Un jour, Annie Ernaux offrit un vase d’opaline à sa mère, qui, ne sachant la valeur de cette matière, reçut ce cadeau avec un rire qui exprimait son embarras. Ce rire fit prendre conscience à la future auteure des Années de son écartèlement entre son « être d’enfance et d’adolescence » et « l’être qui avait choisi un cadeau selon ses nouveaux goûts ». « C’est dans cet entre-deux que je devais écrire, dans cette distance de soi à soi, sur cette ligne de partage entre deux mondes », écrit-elle. Dès lors, la préoccupation première devenait la forme, la langue. Car, écrit-elle encore : « Je m’efforce […] d’explorer le monde réel, de le déchiffrer en le dépouillant des visions et des valeurs dont est porteuse la langue à toutes les époques. » Voilà pourquoi l’œuvre exceptionnelle d’Annie Ernaux est un ferment de subversion.

La Nouvelle Revue française, n° 640, janvier 2020, Gallimard, 148 pages, 15 euros.

Littérature
Temps de lecture : 2 minutes
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