Trump, symptôme de la guerre promise

Dans trois textes écrits sur plus de deux ans, le philosophe Alain Badiou analyse les dangers qui pèsent sur le monde, incarnés par la figure du président états-unien.

Olivier Doubre  • 29 janvier 2020 abonné·es
Trump, symptôme de la guerre promise
© Nicholas Kamm/AFP

Au fond, la vertu de Trump, encore bien trop peu reconnue, est de nous ouvrir les yeux sur l’essentiel », à savoir « la soumission générale de toutes les “démocraties” de la Terre au processus planétaire de concentration du Capital, et à la dévastation, tant de la nature que des sociétés, qu’entraîne ce processus ». Philosophe et dramaturge reconnu, fidèle à l’« Idée » du communisme en tant qu’interprétation du capitalisme mais aussi comme « nom stratégique » de luttes, Alain Badiou prend l’élection du président des États-Unis « comme point de départ d’une réflexion sur le monde contemporain ». Car Donald Trump, écrit-il, « est comme une tache sur la face du monde politique contemporain, et il faut l’interpréter comme un symptôme détestable de la situation globale, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde ». Ce monde où 264 personnes possèdent autant de richesses que les 7 milliards d’autres…

En vrai marxiste, le philosophe dénonce la « brutalité » du système capitaliste, mais il affirme surtout qu’il n’est pas vrai que « la propriété privée et [s]es inégalités monstrueuses doivent représenter pour toujours la loi et le devenir de l’humanité ». Et l’auteur de refuser que ce soit là « la seule voie possible ». Trump, en ce sens, incarne en effet le fameux « there is no alternative » (« il n’y a pas d’alternative ») à l’économie de marché et à l’ordre social, reposant sur la prééminence exclusive de la propriété privée, cher à Margaret Thatcher. Plus que ce qu’incarne Trump, Badiou dénonce le fait que, désormais, « le rôle de l’État est le même partout » : protéger les inégalités – « bien plus grandes dans le monde contemporain qu’à aucune autre période de l’histoire » –, soit protéger ce que le philosophe appelle « le monstre capitaliste ».

Néanmoins, Trump (comme Modi, Erdogan et d’autres crypto-fascistoïdes) produit « un faux effet de nouveauté » et « l’impression d’une nouveauté artificielle, d’un langage différent, de promesses violentes, […] différentes de celles qu’offrent les politiciens classiques, lesquels s’appuient sur la bourgeoisie cultivée ». Si un gouvernement veut, aujourd’hui, déroger à l’unique « loi de la concentration planétaire du Capital », il est voué à disparaître ! C’est pourquoi il s’agit de promouvoir une autre « Idée », afin de surpasser cette sorte de « fascisme démocratique » aujourd’hui emmené par « le milliardaire vulgaire et incohérent » Trump, « qui est un raciste, un machiste, un violent – tout ce qui relève d’une subjectivité fasciste », doublée d’une « haine cachée des intellectuels ». La tâche est urgente ! Car « l’indispensable guerre économique » engagée par Trump, notamment contre la Chine, est « le préliminaire probable d’une guerre tout court, à laquelle, plus ou moins secrètement, tous les États du monde qui en ont les moyens se préparent »

Trump Alain Badiou, PUF, coll. « Perspectives critiques », 104 pages, 11 euros.

Idées
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