« Dark Waters », de Todd Haynes : David contre Goliath

Dans Dark Waters, Todd Haynes met en scène un avocat en lutte contre une holding polluante. Un film de dénonciation âpre et non idéaliste.

Christophe Kantcheff  • 25 février 2020 abonné·es
« Dark Waters », de Todd Haynes : David contre Goliath
© Participant Killer Films

On n’attendait pas Todd Haynes sur ce terrain-là. Après avoir rendu hommage à sa manière aux mélodrames du grand Douglas Sirk (Loin du paradis, 2002) ou revisité des légendes de la musique (le glam-rock dans Velvet Goldmine, 1998 ; Bob Dylan dans I’m not there, 2007), le réalisateur du très subtil Carol (2015) livre un film de dénonciation à portée politique : Dark Waters.

C’est l’histoire de David et Goliath, le petit avocat contre la gigantesque holding, une histoire américaine dont le cinéma s’inspire régulièrement (sur le versant écologique : Erin Brockovich, entre autres). Bref, le traditionnel idéalisme (« chacun a sa chance ») caractéristique de ce pays est là à l’œuvre. Mais, justement, Todd Haynes y apporte un sacré bémol, ce qui constitue l’un des intérêts majeurs de Dark Waters.

La tonalité âpre du film est aussi très convaincante. D’une part, un paysan rugueux de -Virginie-Occidentale, Wilbur Tennant (Bill Camp), dont la ferme voit ses sols et ses eaux empoisonnés, ses animaux devenir fous depuis qu’une usine chimique s’est installée à proximité. D’autre part, un avocat de Cincinnati, Rob Bilott (Mark Ruffalo), appartenant à un cabinet au service de la société de produits chimiques DuPont, propriétaire de l’usine pollueuse. Parce que la grand-mère de Bilott habite dans sa région, Tennant vient interpeller celui-ci jusque dans son cabinet. Après des hésitations, Bilott se rend en Virginie-Occidentale – le tournage ayant eu lieu en hiver, le paysage y est presque hostile. Au cours d’une scène cruciale où Bilott est menacé par une vache enragée et tuée par Tennant, l’avocat change de camp.

Le scénario de Dark Waters est fondé sur une enquête parue dans le New York Times Magazine en 2016, dénonçant le scandale du Téflon. Rob Bilott se retrouve face à une titanesque entreprise de déconstruction judiciaire avant d’aller à l’offensive. Mark Ruffalo, très investi dans ce film (il l’a produit), s’est fait un physique d’homme passe-partout, ayant une famille « moyenne », se retrouvant en butte à tous les pouvoirs : économiques, judiciaires, politiques… Son combat est semé d’embûches, pas seulement procédurières. Même si Bilott peut compter sur l’appui du cabinet qui l’emploie, mené par un avocat ayant une haute idée de son métier (Tim Robbins), sa solitude est de plus en plus grande. Et son engagement, qui devient une mission dévorante, une obsession, affecte son entourage et atteint sa santé. Pour une issue qu’on ne dévoilera pas ici, mais qui n’est pas dénuée d’amertume. L’idéalisme états-unien n’est plus ce qu’il était.

Dark Waters, Todd Haynes, 2 h 06.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes