« Des hommes »,d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet : Marseille à l’ombre

Dans Des hommes, Alice Odiot et Jean-Robert Viallet montrent l’âpre quotidien de la prison des Baumettes avant sa réhabilitation. Un film au plus près des détenus, de leur existence matérielle et de leur vie intérieure.

Christophe Kantcheff  • 19 février 2020 abonné·es
« Des hommes »,d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet : Marseille à l’ombre
© Rezo Films Distribution

Deux jeunes hommes attendent d’être incarcérés. L’un est condamné pour la première fois. À sept ans de prison. L’autre, 19 ans, rempile pour trois ans alors qu’il venait juste de sortir. Avec leur sac de supermarché qui contient leurs effets, ils sont emmenés dans une cellule jugée « correcte » par le gardien qui les y accompagne. Ils s’installent. Puis commence l’attente, le temps vide du morne quotidien dont les seuls faits saillants sont les éclats de violence, parfois mortelle, qui ont lieu surtout en promenade ou à la douche. « Ça va passer vite », dit l’un des deux, en forme d’autopersuasion.

La prison telle qu’on ne l’a jamais vue ? Rarement, en tout cas. Alice Odiot et Jean-Robert Viallet ont passé 23 jours en immersion à la prison des Baumettes, à Marseille. Celle d’avant 2018, quand l’établissement n’avait pas encore été réhabilité, dont le contrôleur général des lieux de privation de liberté a dit qu’elle infligeait aux détenus « un traitement inhumain et dégradant ».

Les documentaristes ont pu entrer partout, filmer avec une entière liberté, passer du temps dans les cellules, où les détenus leur ont fait bon accueil : pour une fois, on leur manifestait une marque d’intérêt en dehors des sujets journalistiques trop souvent sensationnalistes.

Dans cette prison « qui s’effrite », aux murs décrépis, fleurant partout l’abandon et l’humidité, ces hommes se confient. On aperçoit aussi leur « intérieur », la façon dont ils ont aménagé au mieux 9 mètres carrés de cellule à deux ou trois. On est avec eux, tout près d’eux, dans l’intimité de leurs pensées, souvent exprimées en voix off, alors qu’on les voit fumer, le regard dans le vague ou tourné vers eux-mêmes. Ils racontent les circonstances qui les ont amenés là, déclinent la (longue, pour certains) liste de leurs récidives – la prison est un piège à répétition –, la force que requiert cet endroit pour tenir. « C’est facile de fabriquer un couteau. Tous les détenus en ont un, surtout aux Baumettes », dit l’un d’eux. Plusieurs ont des problèmes psychologiques, la prison est une vaste cocotte-minute toujours prête à exploser. On tente de canaliser son stress par des exercices de musculation, outrancièrement pratiqués. Tandis que l’un dit avoir trouvé le calme en se convertissant à l’islam.

Le personnel pénitentiaire se trouve de l’autre côté de la porte mais dans la même galère. Les cinéastes ont surtout filmé des femmes. C’est une cheffe de service qui tente de rasséréner un détenu sans le sou, ne pouvant plus cantiner, en lui donnant un peu de tabac, auquel il est accro. Ou la directrice de l’établissement, qui a accepté que ce film se fasse, lors de commissions disciplinaires. Sans doute souhaiterait-elle que les punitions distribuées aient aussi une vertu pédagogique. Mais ici tout est absurde, désespérément absurde.

Pour autant, et aussi dur soit-il, le film montre une humanité qui s’organise, s’arc-boute et malgré tout espère. Aux Baumettes aussi, la vie résiste.

Des hommes, Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, 1 h 22.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes