Prisons, une honte française

Dans un arrêt historique, la CEDH a condamné la France ce 30 janvier pour « traitements inhumains et dégradants ».

Jean-Claude Renard  • 5 février 2020
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Prisons, une honte française
© PHILIPPE MERLE / AFP

Là, on évoque les cris des rats et les traces laissées sur les corps par les piqûres de punaises. Ici, on parle de murs crasseux, de sol qui s’effrite au milieu de canalisations qui fuient, et les jours de chaleur, la respiration est difficile parce que les cellules prennent des allures de sauna. Ailleurs, une détenue rapporte que « pour couvrir les bruits assourdissants alentour, elle ouvre le robinet du bidet à fond, tire la chasse d’eau, ce qui [lui] permet aussi d’échapper aux odeurs ». Ici encore, on dort par terre, cohabitant avec des cafards, des souris, des scolopendres, on partage 9 mètres carrés à quatre ou cinq…

Tel est le quotidien carcéral indigne de centres pénitentiaires. Une réalité abjecte, actuelle, qui renvoie aisément au XIXe siècle, pour laquelle la France vient d’être condamnée, dans un arrêt historique rendu ce 30 janvier par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour « traitements inhumains et dégradants » (violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme). Six établissements pénitentiaires sont concernés par cette décision (Nîmes, Nice, Fresnes, Ducos, en Martinique, Faa’a Nuutania, en Polynésie, et Baie-Mahault, en Guadeloupe), à la suite d’une quarantaine de plaintes déposées par des personnes détenues et soutenues par l’Observatoire international des prisons (OIP).

Dans son arrêt, la CEDH souligne combien « les taux d’occupation des prisons concernées révèlent l’existence d’un problème structurel » et recommande à la France « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention » (jusque-là, la France avait été condamnée sur des cas individuels). De fait, rappelle l’OIP, 119 établissements sont aujourd’hui en état de surpopulation (sur 188). Certains dépassent les 200 % ! La surpopulation carcérale n’a jamais cessé d’augmenter depuis vingt ans.

Selon la juge européenne Siofra O’Leary, cet arrêt de la CEDH « jouera un rôle important de catalyseur des changements qui doivent être opérés par l’État ». Pas sûr. La réforme de la justice, toujours suivant une politique pénale répressive et borgne, qui sera en vigueur en mars prochain, a prévu la suppression des aménagements de peine au-delà d’un an et si peu d’alternatives à l’incarcération (travail d’intérêt général et bracelets électroniques). La seule réponse de la Place Vendôme étant la création de 7 000 places supplémentaires. Pour quoi faire ? On le sait : plus on construit, plus on enferme !

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