« Des masques, il y en a, mais pas au bon endroit ! »

Aujourd’hui dans #lesdéconfinés. Paul*, 59 ans, médecin généraliste de ville en Île-de-France. Pour continuer à travailler en toute sécurité, il a lancé un appel à sa patientèle pour récupérer des masques inutilisés.

Patrick Piro  • 26 mars 2020
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« Des masques, il y en a, mais pas au bon endroit ! »
© Gestion de stock de masques FFP2. Agence régionale de santé, Strasbourg.photo : FREDERICK FLORIN / AFP

On nous a livré cinquante masques de protection il y a deux semaines, une misère. Le calcul est vite fait : il faut le changer toutes les deux heures. Et chaque jour, je reçois en moyenne quatre personnes avec 40°C de fièvre, avec forte suspicion de Covid-19. Quelques jours plus tard est arrivée une demi-boîte de plus : un signe de la pénurie généralisée qui s’annonçait. Alors j’ai passé un appel auprès de ma patientèle : « s’il vous plaît, apportez-nous vos masques ! »

De nombreuses personnes en ont acheté par précaution au début de la crise, mais il est inutile de les porter si l’on ne présente pas de symptômes et que l’on applique les gestes barrières. En quelques jours, j’en ai récupéré 150 ! Des gens ont déposé des boîtes incognito au cabinet. Il y a peut-être un peu de honte d’avoir stocké ces produits. On voit parfois des gens marcher dans la rue avec des masques FFP2 dits « canard », plus efficaces que les modèles chirurgicaux courants et réservés au personnel médical…

#Lesdéconfiné·es, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail

J’ai aussi fait les fonds de tiroirs : j’ai retrouvé deux boîtes de FFP2 datant de 2009 et du gros approvisionnement organisé par Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé de l’époque alors que se répandait le virus H1N1. Elle avait été vertement critiquée pour avoir vu bien trop large, mais au regard de la situation présente, on peut au contraire juger qu’elle avait été très prévoyante…

Alors qu’aujourd’hui… Mon collègue psychiatre, qui travaille dans le même cabinet que moi, n’a pas reçu de masques, on a considéré il n’était pas spécialement exposé. Idem pour les infirmières. J’ai une nièce qui travaille en prison, c’est moi qui lui ai fourni des masques. Le service réanimation à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre a dû en acheter à Oman, etc.

Et ce que je trouve particulièrement scandaleux, c’est que des masques en France, il y en a de fait, mais pas au bon endroit ! Par exemple, outre le stock diffus chez les particuliers, on sait qu’il existe une réserve de masques à la Banque de France. Un ami qui travaille à Air France m’indique que la compagnie en détient de grandes quantités, elle en distribue à tous ses clients. Le gouvernement pourrait les faire saisir, non ? Et que dire des vols de masques… Dans mon cabinet, j’ai caché les miens, pour ne pas susciter les tentations.

*Le prénom a été changé

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