La gratuité universelle des transports en commun lyonnais : une fausse bonne idée

Cette mesure serait aujourd’hui contre-productive, électoraliste et anti-sociale, affirment deux candidats EELV à Lyon en réponse aux candidats de la liste Lyon en commun.

Jimmy Ribeiro  et  Florence Delaunay  • 9 mars 2020
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La gratuité universelle des transports en commun lyonnais : une fausse bonne idée
© Photo : Mark Sunderland / Robert Harding Heritage / robertharding / AFP

Au nom de l’urgence climatique, les candidats de la liste Lyon en Commun menée par Nathalie Perrin-Gilbert proposent dans leur tribune la gratuité des transports en commun pour le réseau TCL. Ils affirment même que le refus de cette gratuité ferait porter une responsabilité dans la dégradation de la qualité de l’air.

Jimmy Ribeiro, consultant-urbaniste spécialiste de la mobilité durable, est candidat des écologistes sur la circonscription Lyon Nord.

Florence Delaunay, ancienne coprésidente de la Ville à Vélo, est candidate des écologistes sur la circonscription Lyon Nord et à la mairie du 6e arrondissement.

Considérant la législation en vigueur nous, candidats écologistes, avons décidé de ne pas retenir cette mesure dans notre programme pour le prochain mandat à la métropole de Lyon. C’est une fausse bonne idée, et voici pourquoi : outre son côté green-washing, la gratuité des transports à Lyon est aujourd’hui une mesure contre-productive, une promesse électoraliste et finalement anti-sociale.

Une mesure contre-productive

Les partisans de la gratuité affirment que « sur la Métropole de Lyon le gain attendu d’une telle mesure serait de 15% à 30% de voyageurs en plus [1] (et donc en moins sur les routes) ».

On comprend aisément qu’étant gratuits, les TCL verraient leur fréquentation augmenter. En revanche, il est faux d’affirmer que le nombre d’usagers de la route diminuerait d’autant : une étude indépendante [2] menée en mai 2019 conclut que « l’analyse du report modal montre que ces nouveaux clients viendraient principalement de la marche à pied et du vélo et non d’un abandon de la voiture ».

À l’heure où la priorité est de réduire nos émissions de Gaz à effet de serre (GES) et de gagner en sobriété, la gratuité des transports en commun aurait pour impact de transférer piétons et cyclistes, qui n’émettent aucun GES, vers des bus et métros qui consomment de l’énergie. Écologiquement, et pour la métropole, c’est donc contre-productif.

Une promesse électoraliste

C’est un fait, il existe des cas en France où la gratuité a été mise en place et a bénéficié d’effets positifs. Il s’agit systématiquement de petites villes ou des villes moyennes comme la ville de Dunkerque, qui est l’exemple le plus célèbre ; c’est d’ailleurs sous l’impulsion de l’élu écologiste Damien Carême -actuel député européen – que le réseau de bus est devenu gratuit.

Sans vouloir faire injure à la ville balnéaire, les réseaux ne sont pas comparables : 18 lignes de bus pour Dunkerque vs. 4 métros, 6 tramways et 151 lignes de bus pour la capitale des gaules. Dans la ville du Nord, les recettes liées à la vente des tickets étaient très proches du coût du contrôle tandis qu’à Lyon les économies liées aux contrôles dans les TCL ne représenteraient qu’entre 5% à 10% des recettes par an, ce qui est loin d’être suffisant. Ce qui est vrai à Dunkerque ne l’est pas nécessairement à Lyon.

Aujourd’hui le réseau TCL est proche de la saturation aux heures de pointe. Il est donc impossible – à moyens constants – d’absorber une augmentation de fréquence qui pourrait aller jusqu’à 30%. Le réseau TCL devrait non seulement faire face à une perte de recettes (plus de 250 millions d’euros en 2019) et investir davantage pour absorber la hausse de la fréquentation L’institut Montaigne chiffre la mesure à environ 400 millions d’euros par an, soit 2,4 milliards à l’échelle d’un mandat. C’est autant de ressources dont on se prive alors que nous en avons besoin pour développer massivement les transports en commun.

Lors du débat de France 3 Rhône-Alpes, Nathalie Perrin-Gilbert a affirmé qu’« un anneau des sciences qui n’est pas fait [3]_, c’est 10 années de gratuité des transports en commun_ ».

L’argument est étonnant, car une des principales critiques émises contre ce projet est qu’il n’est absolument pas financé. La gratuité ne l’est donc pas davantage. La promettre sans présenter de solution de financement crédible fait de la gratuité des TCL un exemple de mesures proposées à des fins électoralistes.

Une mesure antisociale

Outre son impact sur le climat et son financement, le troisième argument avancé est d’ordre social. Nous, les écologistes, ne sommes pas contre la gratuité lorsque celle-ci bénéficie à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Aujourd’hui, une personne bénéficiaire du RSA socle paye son abonnement à 9€/mois (Solidaire 1), une personne au chômage à 18€ (Solidaire 2) et un salarié 65€/mois (Tout public). La gratuité universelle, c’est donc offrir une réduction de 9€ aux allocataires du RSA et de 65€ à une personne salariée, pouvant notamment être cadre supérieur avec un salaire confortable. Nous l’affirmons, c’est une mesure anti-sociale, dans le sens où l’argent public doit financer la solidarité auprès des plus pauvres et vulnérables !

A ce titre, et contrairement à ce qui a été annoncé dans la tribune de nos concurrents politiques, nous ne nous contentons pas d’annoncer des tarifs sociaux. Nous souhaitons améliorer la tarification TCL pour la rendre plus incitative et inclusive. Concrètement, nous proposons de mettre en place :

  • La gratuité totale pour les plus faibles revenus (solidaires 1) et pour les enfants jusqu’à 10 ans afin qu’il soit toujours moins coûteux de prendre les transports en commun en famille plutôt que d’utiliser la voiture.

  • La réduction de 20€ à 10€ par mois pour les personnes au chômage, contrats aidés et personnes en situation de handicap (solidaires 2).

  • La réduction de l’abonnement de 32,50€ à 20€ par mois pour tous les jeunes de moins de 25 ans et étudiants de moins de 27 ans.

  • La tarification unique TER et TCL : l’ensemble des lignes ferroviaires pourront être empruntées par les détenteurs d’un titre TCL dans le périmètre de la métropole.

Ces mesures sont socialement justes et leur coût pour les finances publiques est maitrisé : environ 30 à 40 millions d’euros par an.

Dernier mandat pour le climat !

Nous, les écologistes, ne nous satisfaisons pas qu’aujourd’hui le centre-ville de Vaulx-en-Velin, 4e ville de la métropole, ne dispose pas de tramway ou de métro. Nous ne nous satisfaisons pas non plus qu’aujourd’hui, en dehors de Lyon-Villeurbanne, la voiture reste le mode de déplacement majoritaire.

Nous proposons donc un grand plan d’investissement du SYTRAL permettant d’améliorer nettement la qualité et l’offre de notre réseau de transport, qui doivent être à ce stade la priorité. Ainsi, nous proposons +20% d’offre de bus, 2 nouvelles lignes de tramway, des prolongements et une création de métro, le renouvellement intégral de la flotte des bus pour qu’ils soient 100% propres, etc. Ce plan, estimé à 3,15 milliards d’€ sur le mandat, est financé pour moitié par l’emprunt et l’autofinancement pour l’autre moitié, ce que les coûts induits par la gratuité totale rendraient impossible.

Notre réseau sera totalement équitable et efficace en termes de lutte contre la pollution, quand les habitants des 59 communes pourront se déplacer librement dans la Métropole sans voiture. Et c’est seulement ensuite que nous devrons nous poser la question de la gratuité universelle.

Plutôt qu’un référendum « pour ou contre la gratuité des transports » nous appelons les électrices et électeurs de Lyon et de sa métropole à faire des 15 et 22 mars prochain des élections pour le climat.


[1] Sytral, 2019.

[2] Menée par le Laboratoire aménagement économie transports (LAET), mai 2019.

[3] Bouclage autoroutier du périphérique lyonnais dont le coût est estimé entre 4 et 5 milliards.

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