Pour Amazon, la « sécurité avant tout » sauf pour ses salariés

Alors que le géant américain s’apprête à enregistrer un pic d’activité dû à l’épidémie, les salariés demandent la fermeture des entrepôts, au nom de leur santé méprisée.

Victor Le Boisselier  • 18 mars 2020
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Pour Amazon, la « sécurité avant tout » sauf pour ses salariés
© Photo : JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Il y a la consigne officielle et celle vécu par certains qui serait plutôt : « #RestezChezVous. Sauf si votre patron décide que votre vie vaut moins que ses profits… » Chez Amazon, le concept « Safety first » n’a jamais été aussi mise à mal qu’en cette période d’épidémie. « Amazon refuse de prendre des mesures sérieuses, dénonce Julien Vincent, délégué syndical CFDT Amazon France logistique. Ils considèrent qu’enlever une chaise sur deux en salle de pause est suffisant. Ils mettent deux-trois lingettes St-Marc, un peu de gel hydroalcoolique et ils disent que tu peux aller travailler. Les gens qui ont des symptômes mais ne sont pas contrôlés positifs doivent continuer de venir malgré tout. »

Aujourd’hui, plusieurs organisations syndicales ont appelé à la grève dans l’entrepôt de Saran, près d’Orléans, pour protester contre le maintien de l’activité du site, tout en précisant que « la livraison de DVD ou de godemichets n’est pas une activité vitale. » Hier, les employés des sites de Sevrey (Saône-et-Loire), Montélimar (Drôme) et Lauwin-Planque, près de Douai dans le Nord, avaient déjà procédé à du débrayage. À Montélimar, plusieurs salariés ont été confinés à la demande de leur médecin « mais Amazon ne bouge pas d’une oreille », selon Julien Vincent. Même cas de figure à Sevrey où une salariée aurait été diagnostiquée positive au Covid-19.

Ce n’est pas une surprise, les achats en ligne augmentent et Amazon fait donc partie des « grands gagnants ». Ce lundi, l’entreprise annonçait le recrutement de 100.000 salariés aux Etats-Unis, alors que certains fleurons de l’économie française comme Michelin annonçaient la fermeture provisoire de leurs usines. Un bel effet d’annonce comprenant également un fonds de soutien aux petits commerces, notamment aux alentours Seattle qui abrite le siège de l’entreprise, mais aussi des augmentations salariales, de deux euros par heure pour les employés européens. « On ne négocie pas des euros en contrepartie de la santé des salariés », rétorquent les syndicats.

Une flagrante inégalité sociale

En France, l’entreprise compte cinq entrepôts où se côtoient entre 500 et 2.000 salariés. « Les allées dans les entrepôts font un mètre vingt, c’est impossible de respecter les distances de sécurité », décrit Julien Vincent. Selon lui, la direction refuse de reconnaître le droit de retrait, alors que plus d’une centaine de salariés l’aurait exercé. Une décision qui l’amènera en justice, explique la CFDT. Pour sa part, l’entreprise avance respecter les consignes de sécurité et avoir reçu un accord du gouvernement pour continuer à exercer son activité.

Au-délà des « amazoniens », il s’agit également d’une question de santé publique : « Dès la première allocution d’Emmanuel Macron, le 12 mars dernier, on a demandé de baisser les effectifs à 100 personnes maximum. Maintenant, on préconise la fermeture des entrepôts et le chômage partiel. Les villes ne pourront pas gérer un afflux de 400 personnes à l’hôpital », poursuit Julien Vincent. D’autant plus qu’en prévoyant « un pic d’activité » et pour palier l’absence de salariés retenus chez eux pour garder leurs enfants, l’entreprise a massivement fait appel à des intérimaires, devant arbitrer entre santé et problèmes financiers. Une inégalité sociale déjà mise en valeur par l’intersyndicale de Saran, qui ironise sur le télétravail des cadres de l’entreprise :

Nous simples petits ouvriers, avons juste le droit d’être confrontés à notre cher petit virus et de potentiellement le transmettre à nos proches et tout ça avec le sourire !

Hier matin, la CGT La Redoute utilisait le même argument pour expliquer le refus d’une trentaine de salariés sur les quarante présents de reprendre le travail à Wattrelos, dans le Nord. « Le siège de La Redoute est totalement fermé mais nous, les ouvriers du site, devrions continuer à nous côtoyer tous les jour ? » indiquait notamment le communiqué.

À noter qu’en Espagne et en Italie, Amazon aurait également refusé de fermer des entrepôts malgré des cas avérés de Covid-19.

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