« Si c’était de l’amour », de Patric Chiha : Danse avec la mélancolie

Avec Si c’était de l’amour, le cinéaste autrichien Patric Chiha livre une captivante approche de Crowd, superbe pièce de la chorégraphe française Gisèle Vienne.

Jérôme Provençal  • 4 mars 2020 abonné·es
« Si c’était de l’amour », de Patric Chiha : Danse avec la mélancolie
© Adi-MARENCINI-LOW

Figure majeure de la danse contemporaine en France, également active dans le champ des arts visuels, Gisèle Vienne évolue dans un univers chorégraphique tourmenté, souvent à la lisière du fantastique. Très sophistiquées pour la plupart, en particulier au niveau de la lumière et de la musique, ses pièces se fondent sur une confrontation dynamique entre le vivant et l’inanimé – comme une continuation par les moyens de la danse de l’éternel conflit entre Eros et Thanatos.

Crowd, la dernière pièce en date de Gisèle Vienne, entraîne quinze jeunes femmes et hommes au cœur d’une rave au milieu de nulle part. Sur la scène, recouverte de terre et jonchée de détritus, ils vont et viennent, se frôlent ou s’évitent, se déhanchent ou se figent, s’empoignent ou s’éloignent, se laissent avant tout (em)porter par les pulsations d’un mix électronique impeccable qui fait la part belle aux légendaires pionniers de la techno de Détroit, notamment Underground Resistance.

Se déployant en de très lents mouvements, avec de rares accélérations saccadées, et s’immobilisant même parfois totalement, cette communauté éphémère – aux oscillations superbement composées – flotte tout du long entre euphorie et mélancolie, ivresse et tristesse. Exempt de tout surplomb symbolique ou allégorique, l’ensemble s’avère absolument envoûtant et stimule intensément l’imaginaire.

Créée en 2017, la pièce prend maintenant aussi une forme cinématographique via Si c’était de l’amour, le nouveau long métrage de Patric Chiha (Domaine, Brothers of the Night). Ayant accompagné Crowd en tournée pendant plusieurs mois avec une équipe réduite, le cinéaste autrichien a pris le temps de s’imprégner de la pièce, d’observer et d’apprendre à connaître celles et ceux qui lui donnent forme.

S’il montre le travail des répétitions, conduites avec une douce rigueur par Gisèle Vienne, et saisit des bribes de la pièce, au plus près des visages et des corps, le film excède pourtant le cadre de la captation. Sans commentaire off ni texte informatif, il propose plutôt une adaptation ou une approche de Crowd par un biais plus suggestif que discursif.

La justesse sensible du regard – et de l’écoute – de Patric Chiha se manifeste en particulier dans les séquences durant lesquelles les interprètes, discutant à deux, se parlent de la pièce, de leur personnage et de leur propre vie. Filmés avec beaucoup de tact, ces dialogues ouvrent sur autant de (micro)fictions possibles.

Si c’était de l’amour, Patric Chiha, 1 h 22.

Cinéma
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