Solidarité avec les migrants : Défense de secourir

Amnesty International publie un rapport sur les abus législatifs des pays européens et la criminalisation des ONG et des personnes venant en aide à des réfugié·es.

Vanina Delmas  • 4 mars 2020 abonné·es
Solidarité avec les migrants : Défense de secourir
© Des habitants de Dortmund, en Allemagne, attendent des migrants à la gare, le 6 septembre 2015.MAJA HITIJ/DPA/AFP

Deux ans de travail, de rencontres et d’observations ont été nécessaires aux équipes d’Amnesty International pour élaborer ce rapport aussi dense que poignant intitulé « Compassion sanctionnée : la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe ».L’objectif : dénoncer les abus législatifs, les méthodes des gouvernements et la criminalisation des personnes et des ONG solidaires des exilé·es. Le rapport se focalise sur des cas de défenseurs et défenseuses des droits humains poursuivi·es pour des motifs fallacieux entre 2017 et 2019 dans huit pays : Croatie, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte, Royaume-Uni et Suisse. Car si, dans les discours officiels, l’Europe s’affiche comme une fervente protectrice des droits humains, la réalité est tout autre lorsqu’il s’agit des personnes migrantes et de ceux et celles qui osent les accueillir avec dignité.

Même s’il est difficile d’obtenir des chiffres, les témoignages s’accumulent dans toute l’Union européenne. En juin 2019, une étude de ReSOMA, plateforme européenne de recherches sur la migration et l’asile, évoquait 49 enquêtes et procès en cours dans onze pays membres de l’UE, soit 158 personnes poursuivies en justice pour avoir porté assistance à des personnes migrantes ou réfugiées. Si certains noms sont devenus des symboles, comme l’agriculteur français Cédric Herrou ou la capitaine Carola Rackete, combien d’autres restent hors des radars ? Des rappels indispensables, alors que la Grèce lance un appel à l’aide en direction de l’Europe depuis que la Turquie menace d’ouvrir ses frontières à des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants venant de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie, d’Irak… qui espèrent tous fouler le sol européen et y rester.

Croatie : des ONG prises pour cibles

Tous solidaires ! Tous maraudeurs !

Samedi 7 mars, le mouvement citoyen Tous migrants et le Comité de soutien aux 3 + 4 + 2 + 2 + …, aussi appelé les « 7 de Briançon », organisent une journée de solidarité envers les migrants, et avec « celles et ceux qui font vivre la fraternité partout en Europe ». Rendez-vous au cœur des Alpes pour une conférence sur la criminalisation de l’action des personnes solidaires en France et en Europe, des témoignages, puis une lecture du livret Au nom de la loi devant les locaux de la police aux frontières. « Parce que la situation n’a pas changé : les contrôles au faciès, les traques, les courses-poursuites obligent les exilés à traverser la montagne enneigée de nuit, les exposant à des risques de gelures et de chutes graves », clame le collectif Tous migrants, auteur de ce livret. La journée se terminera par une « grande maraude solidaire » au col de Montgenèvre. Les soutiens sont nombreux : Amnesty International France, la Cimade, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Secours catholique, l’Anafé, ATD-Quart Monde, le collectif des Délinquants solidaires, les États généraux des migrations…

Infos sur Tous Migrants

En Croatie, des membres du Centre d’études pour la paix (CMS) et de l’ONG Are you Syrious (AyS) ont témoigné de pressions, de menaces, de harcèlement, de diffamation publique et de restrictions de leurs activités au fil des années. Le CMS soutient les réfugié·es et les candidat·es à l’asile depuis quinze ans, et AyS travaille avec les exilé·es depuis 2015, au moment où des milliers de personnes suivaient la route des Balkans pour rejoindre l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni. Tandis que les associations dénonçaient les violences policières commises à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, les techniques d’intimidation se sont renforcées. En 2018, alors qu’une conférence de presse devait se tenir pour alerter sur ces faits, les militant·es ont été convoqué·es au poste de police. Si la conférence de presse a bien eu lieu, le ministre de l’Intérieur a publié dans la foulée une déclaration les accusant de « saper l’ambition de la Croatie de rejoindre l’espace Schengen et d’encourager la migration illégale ».

Grèce : des sauveteurs en mer risquent 25 ans de prison

En 2016 et 2017, Sarah Mardini et Sean Binder s’engagent comme volontaires au sein de l’ONG Emergency Response Center International sur l’île de Lesbos. Leur mission : repérer les canots en perdition au large des côtes grecques. Sean, ressortissant allemand vivant en Irlande, est plongeur en haute mer. Sarah, nageuse professionnelle syrienne devenue réfugiée en Allemagne, avait fait les gros titres en 2015 lorsque sa sœur et elle avaient remorqué à la force de leurs bras le canot sur lequel elles voyageaient depuis la Turquie jusqu’à Lesbos. En février 2018, Sarah et Sean sont arrêté·es par la police grecque et accusé·es d’avoir facilité l’entrée de migrant·es en situation irrégulière sur le territoire grec, avec des circonstances aggravantes mêlant espionnage, trafic d’êtres humains et liens avec une organisation criminelle. Libéré·es sous caution en décembre 2018, contre le paiement de 5 000 euros chacun·e, les deux avaient déjà passé plus de cent jours en détention provisoire. « Nous risquons vingt-cinq ans de prison pour avoir secouru des gens, mais si vous me demandiez aujourd’hui si j’agirais autrement, sachant que ma vie pourrait en être bouleversée, je vous répondrais que je ferais exactement la même chose », a déclaré Sarah Mardini.

Suisse : un pasteur poursuivi pour son humanité

Pasteur depuis quarante ans, Norbert Valley accueille des réfugié·es et des migrant·es dans son église de Morat, en Suisse, depuis les années 1980. En février 2017, la police vient le chercher en plein office religieux pour l’interroger. Un an plus tard, il est reconnu coupable d’avoir « facilité le séjour illégal d’un homme togolais grâce à la fourniture répétée d’abris et de nourriture d’avril 2016 à septembre 2017 », selon le procureur, et est condamné à une amende de 1 000 francs suisses. « Je déclare ne me sentir coupable de rien dans l’affaire que vous mentionnez, quelle que soit la loi en vertu de laquelle vous m’avez condamné. Ce qui est légal n’est pas nécessairement moral. Je considère que je n’ai fait que mon devoir d’aider une personne en danger », a-t-il écrit dans une lettre au procureur. Norbert Valley avait fourni un hébergement et à manger à Joseph, originaire du Togo, qui se retrouvait à la rue lorsque sa demande d’asile a été refusée. Le pasteur a fait appel et la décision devrait être rendue le 11 mars.

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