La presse prise à la gorge

Dans le chaos économique qui s’installe, le naufrage de Presstalis menace gravement la liberté d’information.

Gilles Wullus  • 29 avril 2020
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La presse prise à la gorge
© Photo : MEHDI FEDOUACH / AFP

Dans le chaos économique qui s’installe, une lourde pierre vient d’être posée dans le jardin de la presse française. Le naufrage de Presstalis – et le plan ahurissant proposé pour l’éviter – menace gravement la liberté d’information. Dans l’indifférence presque générale, ce qui peut se comprendre dans le contexte actuel, l’affaire Presstalis est pourtant des plus éloquentes sur la dérive d’un système très « français ».

L’amateur de journaux l’ignore souvent, mais c’est grâce à ce qu’on appelle les « messageries » (Presstalis pour les trois quarts des titres, MLP pour les autres) que les exemplaires sont distribués dans les milliers de points de vente. Pour diffuser Politis, nous nous en remettons à La Poste pour nos abonné·es, aux MLP pour les marchands de journaux. Jusqu’en 2019 d’ailleurs, nous dépendions aussi de Presstalis, mais nous l’avons quitté, voyant que l’entreprise s’enferrait dans une gabegie. Les faits sont bien connus, et accablants. Pendant des années, alors que la diffusion de la presse écrite s’étiolait gravement, les dirigeants de Presstalis ont continué de mener grand train, engagé des choix stratégiques désastreux et dissimulé la réalité économique aux journaux. Le pot aux roses a été mis au jour en 2017, mais trois ans plus tard, le désastre reste entier.

Comme la sécurité sociale, le système des messageries est un héritage de la Résistance. Il a été instauré en 1947 pour garantir une distribution équitable de la presse : ainsi, un point de vente ne peut pas refuser de commercialiser un titre distribué par une messagerie. C’est un système construit sur l’égalité et la solidarité, non sur le profit. Ses actionnaires en sont deux coopératives rassemblant tous les éditeurs de presse. Mais tous ne sont pas égaux : les « gros » ont une influence prépondérante, et font peu de cas des « petits », le plus souvent des titres indépendants. Le énième « plan de sauvetage » proposé ce mois-ci exige d’eux un blanc-seing pour six ans, sans garanties, avec des charges alourdies. On peut deviner que certains font le pari que la crise « purgera » la presse des titres les plus faibles, fera le ménage en somme, pour éclaircir le paysage des survivants. Le même calcul auquel rêvent les chaînes de restaurants, qui ramasseront la clientèle des petits établissements fauchés par les faillites en série, ou Amazon vis-à-vis des librairies.

Le néolibéralisme a saigné l’hôpital public né des idéaux de la Résistance. La presse papier en est victime à son tour. Politis apporte son soutien à tous les éditeurs indépendants et marchands de journaux menacés par la crise de Presstalis, et appelle l’État à prendre enfin ses responsabilités pour pérenniser ce socle de la liberté de l’information. Il en va de la démocratie française.

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