Masque obligatoire : les inégalités au grand jour

À partir du lundi 11 mai, le port du masque sera obligatoire dans les transports publics ainsi que dans certaines entreprises. Sans accès gratuit aux masques pour tous, cette obligation interroge.

Pauline Josse  • 7 mai 2020
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Masque obligatoire : les inégalités au grand jour
© Photo : Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Depuis le début de la semaine, les paquets de masques se succèdent sur son tapis. Claire* est hôtesse de caisse à Auchan et, tout comme dans les enseignes concurrentes, la vente de masques chirurgicaux ou en tissu y est autorisée depuis le 4 mai. De l’autre côté du plexiglas, ce n’est qu’après le décès d’Aïcha Issadounène, hôtesse au Carrefour de Saint-Denis, le 28 mars dernier, que Claire et ses collègues se sont vu remettre des masques par leur entreprise. Avant cela, chacun·e s’équipait comme il ou elle pouvait, avec ses propres moyens. Au risque de se faire recadrer par la direction : « Ceux qui avaient ramené leurs masques au début du confinement ont été convoqués car cela donnait une mauvaise image auprès des clients. La direction s’est justifiée en expliquant qu’elle craignait que des employés malades viennent travailler », raconte Claire. Aujourd’hui la doctrine a radicalement changé dans ce Auchan de la région parisienne puisque le port de masques chirurgicaux est devenu obligatoire pour tou·tes les employé·es à la caisse.

À compter du lundi 11 mai, cette obligation pourrait concerner bien d’autres entreprises. Même si la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, préconise de privilégier la distanciation physique et les gestes barrières dans son protocole de déconfinement, le port du masque pourrait devenir obligatoire dans le cas où la distanciation physique serait impossible à mettre en œuvre. C’est alors à l’employeur d’évaluer les risques pour ses salarié·es et de constituer un stock de masques en conséquence d’ici à la reprise.

« En rendant les masques obligatoires et payants, le gouvernement astreint les employeurs à une charge supplémentaire, des employeurs qui ont déjà été mis à mal pendant la période de confinement » regrette Pierre-Gaël Laveder, juriste spécialisé en droit social. Sans compter les difficultés pour les petites et moyennes entreprises à se fournir sur le marché du masque, largement favorable aux plus gros acquéreurs. « En tant que juristes, on n’aime pas vraiment les périodes comme celle que nous traversons, car elles sont le prétexte à un grand nombre d’exceptions, notamment dans le respect du code du travail », poursuit-il.

Dans la précipitation, la protection des salarié·es en péril {: class= »ui-droppable » }

Avec la crise économique en toile de fond, le juriste redoute que la reprise à marche forcée de l’activité se fasse au détriment de la santé des travailleurs et des travailleuses. Il conseille aux salarié·es qui craignent d’être contaminé·es par leurs collègues, faute de masques fournis à tou·tes par leurs employeurs, de se tourner dès que possible vers les élu·es du personnel ainsi que vers l’inspection du travail. « On ne pourra malheureusement y voir plus clair dans les droits et obligations de chacun que lorsque des décisions de justice seront rendues. »

Pour Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, le protocole de déconfinement du ministère du Travail est largement insuffisant en termes de mesures pour protéger la santé des salarié·es. Avant tout, elle s’interroge sur la valeur juridique de ce protocole en cas de litige : « Aujourd’hui, on se demande si un employeur qui applique à la lettre les préconisations du gouvernement sera dégagé de toute responsabilité si un de ses salariés est contaminé. Est-ce que, dans une certaine mesure, cela va le dédouaner devant la justice ? »

C’est en tout cas la direction prise par le Sénat lundi 4 mai. Il a adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement d’irresponsabilité pénale pour les décideurs. Il stipule que, dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, _« nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir soit exposé autrui à un risque de contamination, soit causé ou contribué à causer une telle contamination », sauf si les faits ont été commis « par imprudence ou négligence » ou « en violation manifestement délibérée […] d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Selon Anne Vincent, juriste spécialisée en droit social, ces réponses seront à l’appréciation des juges. Et depuis le début du confinement, « ils sont très vigilants sur les conditions de reprise de l’activité, comme l’illustrent les affaires Amazon, Carrefour ou La Poste ».

Des masques disponibles partout… à la vente {: class= »ui-droppable » }

Le seul cadre où le port du masque sera systématiquement obligatoire est celui des transports publics. Là encore, l’application de cette obligation soulève des interrogations. Comme le rapporte Céline Verzeletti, « les transporteurs sont inquiets. Ils ne savent pas comment ils vont faire appliquer cette obligation, qui va empêcher un voyageur de monter à bord ou le faire descendre s’il ne porte pas de masque », en prenant le risque de perturber la circulation s’il faut arrêter le bus par exemple. Selon le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, la tâche incomberait aux forces de l’ordre ainsi qu’aux agents de sécurité des opérateurs de transport. Ils pourraient également être amenés à infliger des amendes aux voyageurs sans masque. Le montant serait similaire à celui qui était prévu en cas d’absence d’attestation de sortie, soit 135 euros.

Dans les colonnes du JDD, la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a assuré que des masques seront en vente aux différentes bornes et guichets du réseau RATP à partir du 11 mai. Les masques chirurgicaux seront vendus 95 centimes pièce, le prix plafonné par le ministère de l’Économie. Une stratégie opposée à celle suivie par l’Espagne, où les masques sont également obligatoires dans les transports en commun, mais remis gratuitement aux usagers à visage découvert :

« Quand on sait qu’il faut au moins deux masques de ce type par jour pour une journée de travail, en faisant l’addition on se rend vite compte du budget que cela peut représenter pour les familles les plus modestes. Certains n’ont pas les moyens. Vu les disparités de distribution gratuite d’une collectivité à l’autre, cette obligation devient injuste », dénonce Céline Verzeletti, de la CGT. Un constat partagé par différentes associations de consommateurs, comme l’association Familles rurales, qui s’est adressée au gouvernement en déplorant « une protection à deux vitesses, selon que les familles aient ou non les moyens d’assumer cette dépense nouvelle, mais “incompressible” […]. Devront-elles faire le choix de se protéger plutôt que de s’alimenter du fait de finances déjà sous tension ? » Cette nouvelle injonction pour se mouvoir ou travailler pourrait bien creuser de nouvelles inégalités, surtout dans des foyers largement touchés par les pertes de revenus liées au confinement.

* Le prénom a été changé

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