La Ve achève bien le Parlement

Une récente décision du Conseil constitutionnel ouvre la voie à une ratification des ordonnances sans vote parlementaire.

Michel Soudais  • 9 juin 2020
Partager :
La Ve achève bien le Parlement
© Photo / Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel (Eric Feferberg / AFP)

Nul n’est censé ignorer la loi, dit l’adage. Et encore moins la Constitution, dont l’article 24 est ainsi rédigé : _« Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » Voilà pour la théorie, car en pratique ces attributs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont souvent été rognés. Ils le sont même de plus en plus. Vous aurez peut-être noté que dans notre loi fondamentale le Parlement ne fait pas la loi, il se contente de la voter. Eh bien ce pouvoir est devenu facultatif depuis une décision du Conseil constitutionnel du 28 mai.

Ce jour-là, au détour d’un problème juridique posé par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portée par une association de défense de l’environnement, les « Sages » ont reconfiguré l’ensemble du régime juridique des ordonnances. On sait que celles-ci permettent à l’exécutif de légiférer, par exception, à la place des parlementaires. Il faut toutefois, selon l’article 38 de la Constitution qui les réglemente, que le gouvernement y soit autorisé au préalable par un vote d’habilitation du Parlement. Les ordonnances doivent ensuite être ratifiées par ce dernier dans un délai fixé au moment de l’habilitation pour devenir vraiment des lois. Avant ce vote de ratification, qui intervient fréquemment des années après l’entrée en vigueur des ordonnances, celles-ci ne sont juridiquement que des actes réglementaires susceptibles de recours devant le Conseil d’État.

La décision du Conseil constitutionnel n’impose plus ce contrôle parlementaire a posteriori : il suffira désormais que le gouvernement ait déposé un projet de loi de ratification avant la fin du délai d’habilitation pour que les dispositions d’une ordonnance soient « regardées comme des dispositions législatives » au terme de ce délai. Passé celui-ci, l’ordonnance devenue loi, même en l’absence de vote, n’est plus contestable que devant le Conseil constitutionnel par le biais d’une QPC. Il n’est pas certain que cela profite aux citoyens.

Le déséquilibre des pouvoirs, inhérent à la Ve République, s’accentue donc au profit de l’exécutif. Lequel recourt de plus en plus aux ordonnances pour légiférer en catimini ou en urgence. Emmanuel Macron en use et en abuse : après les ordonnances travail prises au début du quinquennat, les ordonnances sur la justice pénale des mineurs, on dénombre 72 ordonnances depuis le début de l’année. Cette inflation inquiétante est le signe d’un pouvoir personnel qui se veut sans contrôle. Que le Conseil constitutionnel lui prête la main est inquiétant.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« AI girlfriends » : les femmes sont devenues obsolètes
Parti pris 18 juillet 2025

« AI girlfriends » : les femmes sont devenues obsolètes

Présentées comme rempart à la solitude, les petites amies créées par intelligence artificielle contribuent à la chosification des femmes. Un symptôme alarmant, qui montre combien cet usage de l’IA, à l’instar de celle d’Elon Musk, est créé par et pour les masculinistes violents.
Par Juliette Heinzlef
Libération de Georges Ibrahim Abdallah : la fin d’un scandale d’État
Justice 17 juillet 2025

Libération de Georges Ibrahim Abdallah : la fin d’un scandale d’État

Après 40 ans de détention arbitraire en France, l’activiste libanais pro-palestinien va retrouver la liberté le 25 juillet. Sa libération avait été refusée une première fois par Manuel Valls en 2013, alors qu’il pouvait déjà sortir de prison depuis 1999.
Par Denis Sieffert
Budget : Bayrou, boucher de l’État
Parti pris 15 juillet 2025

Budget : Bayrou, boucher de l’État

En annonçant des mesures d’austérité d’une ampleur rare, François Bayrou a fait le choix, non pas de la « responsabilité » et de la « justice », mais du massacre social et écologique du pays. Le tout, en préservant les plus aisés.
Par Pierre Jequier-Zalc
Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée
Parti pris 15 juillet 2025

Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée

La Légion d’honneur attribuée à Sophia Aram le 14 juillet incarne une dérive de cette distinction, désormais utilisée pour récompenser des voix qui stigmatisent les musulmans et dévalorisent les luttes antiracistes. En l’honorant, l’État légitime un discours d’exclusion et de division.
Par Pierre Jacquemain