Macron fait son marché citoyen

Le Président rejette trois mesures emblématiques de la Convention pour le climat, temporise sur d’autres et, surtout, garde son logiciel : économie, croissance, secteur privé.

Vanina Delmas  • 1 juillet 2020 abonné·es
Macron fait son marché citoyen
© CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Au lendemain de victoires retentissantes pour les écologistes – et l’écologie – aux élections municipales, Emmanuel Macron a rendu public le « filtre » auquel seront soumises les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). En deux mots : lui-même. Dans un jardin de l’Élysée aussi verdoyant que les discours du Président, la plupart des 150 citoyens ayant participé à cette aventure l’ont écouté égrener à la fois son propre bilan et son avis sur leurs neuf mois de travail. Après les compliments sur « l’intelligence collective », cette expérience de « démocratie délibérative qui enrichit la démocratie parlementaire » et « l’ambition de ce projet humaniste », Emmanuel Macron a asséné que « le temps est venu de faire, d’agir ». Un aveu que le bilan écolo de ses trois ans de gouvernance n’était que des paroles ?

Dans la foulée, le Président a dégainé trois jokers. Le premier concerne le passage de 130 km/h à 110 km/h sur autoroute, arguant qu’il épargne ainsi aux 150 de voir leur travail réduit à une polémique – référence explicite aux 80 km/h et aux gilets jaunes. En réalité, il s’épargne à lui-même une éventuelle poudrière pouvant faire descendre de nouvelles colères dans la rue. Ensuite, par une antithèse bien ficelée, il a sauvé la bourse des entreprises tout en reconnaissant leur importance dans la lutte contre le réchauffement climatique :  « Pour concilier écologie et économie, le secteur privé a un rôle à jouer. C’est notamment pour cela que je suis en désaccord avec la taxe de 4 % sur les dividendes », qui pourrait effrayer les investisseurs. Précision : la CCC visait les entreprises distribuant plus de 10 millions d’euros par an de dividendes. Enfin, Emmanuel Macron a retoqué l’idée d’inscrire l’écologie dans le préambule de la Constitution, et donc de la soumettre à référendum, pour « ne pas mettre le droit de la nature au-dessus du droit humain ». Pour tenir une partie de ses promesses, il a accepté de soumettre à référendum d’ici 2021 une idée plus consensuelle : l’introduction des notions de « biodiversité, d’environnement, de lutte contre le réchauffement climatique » dans l’article 1er de la Constitution. Une belle victoire quand même. Tout comme ses engagements sur l’aménagement du territoire, notamment le moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes.

Tout cela ne suffit pas à dissimuler les véritables blocages pour « aller plus loin, plus fort » : les œillères libérales du chef de l’État sont indéboulonnables. S’il a bien promis « 15 milliards d’euros supplémentaires sur deux ans pour la conversion écologique de notre économie » dès le plan de relance voté à la fin du mois, il a célébré le fait que la Convention n’ait pas choisi « la voie de la décroissance, de la réduction de l’activité ». En bref : gardons l’économie comme fil rouge de toute décision, continuons de produire et engageons-nous dans la voie de la croissance verte – source d’intenses débats chez les écologistes.

Pourtant, les citoyens de la CCC, désormais réunis au sein de l’association Les 150, ont mis l’accent dès le début sur l’interdépendance des mesures, qui apporte de la cohérence à leur projet. « Nous ne proposons pas un menu à la carte, a averti Mélanie, l’une des oratrices. Monsieur le Président, en 2020, il faut cesser de mettre les gens et leurs actions dans des cases ! Aujourd’hui, il n’est plus question d’être écolo ou non. Réduire notre empreinte carbone, respecter la planète est une question de bon sens, pour tous. »

Tout sourire et extrêmement détendu, Emmanuel Macron a joué de toute sa palette d’émotions pour amadouer, séduire, convaincre et garder son titre autoproclamé de « champion de la Terre ». En réalité, il temporise. En créant des groupes de travail pour assurer le suivi des mesures, en acceptant de soumettre d’autres propositions à référendum, en reportant des sujets au niveau européen (taxe carbone) et international (crime d’écocide soumis à la Cour pénale internationale) et en promettant d’autres conventions citoyennes… In fine, il reste le maître des horloges et sait parfaitement comment jouer la montre. Or c’est un chronomètre qu’il faut pour traiter l’urgence climatique…

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

D’eau et de colère
Portfolio 24 juillet 2024 abonné·es

D’eau et de colère

Les 19 et 20 juillet, les militants des Soulèvements de la Terre ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire sur les mégabassines. Reportage photo.
Par Maxime Sirvins
Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition
Portrait 24 juillet 2024 abonné·es

Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition

Sur le plus long fleuve de France, ils ne sont plus qu’une soixantaine à exercer leur métier. Une activité qui fait figure d’artisanat en comparaison de la pêche en mer. Rencontre avec un passionné attentif à son environnement.
Par Mathilde Doiezie
De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan
Reportage 22 juillet 2024

De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan

Au cours d’une semaine de mobilisation contre les mégabassines, des milliers manifestants se sont rassemblés dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la terre et de Bassines Non Merci. Les 19 et 20 juillet, les militants ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire. Récit et photos.
Par Maxime Sirvins
Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines
Reportage 15 juillet 2024 abonné·es

Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines

L’établissement des Deux-Sèvres voit mûrir au sein de son BTS gestion et protection de la nature une nouvelle génération d’activistes contre l’accaparement de l’eau. Ses élèves aux parcours sinueux trouvent dans ce terroir et son activité militante le déclic d’un engagement durable.
Par Sylvain Lapoix