« Adolescentes », de Sébastien Lifshitz : Le monde d’Emma et d’Anaïs

Dans Adolescentes, Sébastien Lifshitz suit deux jeunes filles à Brive de la quatrième au bac. Un documentaire tout en finesse.

Christophe Kantcheff  • 8 septembre 2020
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« Adolescentes », de Sébastien Lifshitz : Le monde d’Emma et d’Anaïs
© Sébastien Lifshitz

Que savons-nous des adolescentes ? Que savent les parents de leurs enfants qui ont cet âge ? Des émissions de télé-réalité ou des talk-shows sont faits sur ce thème, qui traquent l’anecdote spectaculaire, ne montrant rien d’essentiel. Le cinéma s’y prend autrement pour approcher ce territoire mystérieux qu’est l’adolescence. Surtout quand le maître d’œuvre se nomme Sébastien Lifshitz, l’un des cinéastes qui filment le plus délicatement les êtres jeunes – on se souvient des Terres froides (1999) et de Presque rien (2000).

L’un des secrets du cinéma, en particulier du documentaire, c’est le temps. Sébastien Lifshitz a accompagné pendant cinq ans Anaïs et Emma, élèves à Brive, à partir de la classe de quatrième. Un documentariste et sa caméra ne peuvent se fondre absolument dans le réel. Ils influent forcément, même a minima, sur les situations. Néanmoins, ce temps passé avec les deux adolescentes a permis une proximité inouïe, y compris avec leurs proches. La confiance est là, la caméra est devenue une présence plus que familière, et la discrétion du cinéaste et de son équipe a fait le reste.

En quatrième, Anaïs et Emma sont dans la même classe. Elles sont amies et partagent le même petit groupe de copines. Mais, une fois de retour chez elles, les différences sont flagrantes. Emma, fille unique, habite une grande maison confortable et ne cesse d’être entourée par sa mère dans tout ce qu’elle fait. Anaïs vit avec son petit frère encore bébé et ses parents dans un modeste appartement.

Cet écart social sera déterminant dans le parcours des deux jeunes filles au long des cinq années à venir. Emma, bonne élève, envisage une carrière artistique ; Anaïs a plus de difficultés, est plus dissipée. Ses parents la tancent pour ses mauvaises notes, mais elle doit se débrouiller seule.

Cet aspect du film est fondamental mais il est loin de le contenir à lui seul. Conviés dans l’intimité des deux adolescentes, nous voyons les grandes choses et les petits riens qui les stimulent, les émeuvent, les angoissent. Toutes deux ont des attitudes très contrastées en dehors de chez elles, où elles se sentent plus libres, et dans leur famille. Là, elles s’accrochent avec leur mère (Emma de façon systématique, voire névrotique), font la soupe à la grimace, même si l’amour est là.

Anaïs est touchante par sa vitalité, sa générosité et son humour, alors que la vie n’est pas toujours facile : elle perd sa grand-mère, son premier petit ami la quitte sèchement, son appartement brûle, sa mère doit subir une opération sérieuse… Elle est particulièrement émouvante quand elle découvre sa tendresse pour les personnes âgées, ce dont elle fera sans doute son métier.

Les deux amies se retrouvent à la fin du film, bac en poche, à l’orée de leur vie d’adulte. Emma part continuer ses études à Paris, Anaïs reste. Devisant sur leur avenir, elles s’imaginent se croiser peut-être un jour lointain à Brive. Elles diront alors à leurs enfants qu’adolescentes elles ont été amies. Le beau film de Sébastien Lifshitz, en toute pudeur, en témoignera.

Adolescentes, Sébastien Lifshitz, 2 h 15.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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