Le PCF, à hauteur de vie humaine

Roger Martelli analyse un siècle d’histoire du communisme français, et notamment « l’énigme » de son déclin.

Denis Sieffert  • 30 septembre 2020 abonné·es
Le PCF, à hauteur de vie humaine
Lors du congrès de Tours, le 26 décembre 1920.
© STF/AFP

Le 30 décembre, le Parti communiste français aura cent ans. Comme un humain qui aurait atteint cet âge vénérable, il apparaît à bout de souffle. L’historien Roger Martelli, qui lui consacre un essai remarquable – on pourrait presque dire une biographie –, se demande si « l’objet parti communiste », qui revendique encore une existence, a quelque rapport avec le PCF qui représenta la classe ouvrière tout au long du XXe siècle. En maître dialecticien, Martelli souligne que l’histoire du parti est à la fois un continuum et une succession de ruptures. Le PC du Front populaire, celui de la Libération, celui des Trente Glorieuses sont chaque fois différents. Alors, pourquoi pas une suite, sous une autre forme, correspondant à une époque nouvelle ?

Les bases objectives sont là. Martelli le démontre : la bipolarité sociale n’a pas disparu, bien au contraire. Et dans un monde capitaliste de plus en plus inégalitaire, le sentiment d’appartenance à la gauche est vivant. Mais, en attendant, l’historien revient sur les multiples facteurs qui ont emporté le parti né du schisme du congrès de Tours, en 1920. Ce qui étonne, c’est la brutalité du déclin, au début des années 1980. L’énigme ne reste pas complètement sans réponses. Avec la mondialisation libérale, un monde simple s’est effondré : « Ce qui déroute aujourd’hui, écrit Martelli_, est l’impression d’une réalité échappant à tout contrôle. Les équilibres relatifs de l’époque des “Trente Glorieuses” ont cessé de fonctionner_ […]_, l’action régulatrice des États a décliné, le face-à-face des deux “superpuissances” a disparu. »_ De nouveaux clivages se sont formés, ou on a voulu les imposer, entre « progressistes » et « conservateurs », « mondialistes » et « souverainistes », « haut » et « bas » de la société.

Le Parti communiste, qui avait prospéré sur la promesse de lendemains qui chantent, subit de plein fouet la « crise du progrès ». Pour autant, son déclin n’était pas fatal, estime Martelli, qui pointe quelques « bifurcations » manquées. Mais ces ratages renvoient à une particularité historique du parti, qui est « resté dans la tradition française d’un mouvement ouvrier pragmatique, développant un communisme d’action ». Un parti qui a cantonné ses intellectuels dans une mission de « défense et illustration de la “ligne” ».

Le PCF n’a jamais eu, nous dit Martelli, les « traditions intellectuelles du socialisme allemand » ni « les brillants débats du monde communiste italien ». La cause est sans doute à chercher dans la forte inféodation à Moscou, qui n’encourageait guère la créativité politique. C’est peu dire que le PCF n’était pas préparé aux brusques changements de cette fin de siècle. La force du livre de Roger Martelli est précisément d’être l’œuvre d’un intellectuel qui a bien connu le PC de l’intérieur, et jusqu’à ses sommets, mais s’en est totalement émancipé pour porter sur son sujet un ample regard d’historien.

Communisme français, la double énigme, Roger Martelli, La Dispute, 208 pages, 15 euros.

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