Sous le soleil noir exactement

Une excellente compilation ravive Black Fire, label états-unien cultivant son activisme musical entre soul, jazz, funk et rythmes africains.

Jérôme Provençal  • 2 septembre 2020 abonné·es
Sous le soleil noir exactement
© Black Fire / Strut

Installé à Washington, le label Black Fire apparaît au mitan des années 1970 sous l’impulsion de Jimmy Gray et James « Plunky » Branch, tous deux engagés avec des moyens différents dans la lutte pour l’affirmation de la communauté noire aux États-Unis. Œuvrant dans la sphère du jazz à la fois comme DJ et promoteur musical, Jimmy Gray anime une émission intitulée « Black Fire » sur les ondes d’une radio étudiante orientée bien à gauche et diffuse en outre un magazine/catalogue de diffusion de disques également baptisé Black Fire. Saxophoniste et compositeur, James « Plunky » Branch opère quant à lui sur le front musical au sein de diverses formations, notamment Oneness of Juju, adepte d’une fusion -galvanisante entre jazz, funk, soul et musiques africaines.

Lorsque les deux hommes se rencontrent en 1974, le courant passe rapidement et l’envie leur vient de monter ensemble un label indépendant. Celui-ci prend logiquement le nom de Black Fire et, à rebours des pratiques dominantes dans l’industrie du disque, adopte une structure de coopérative, les revenus générés par chaque disque devant être équitablement distribués entre le label et les artistes. En 1975, Oneness of Juju allume Black Fire et lui donne son orientation esthétique avec l’album African Rhythms, étincelant feu d’artifice (poly)rythmique. Plusieurs albums vont suivre, notamment le flamboyant premier opus (Free Yourself, 1977) du bien nommé groupe Experience Unlimited.

Ayant suspendu son activité en 1980 en raison de problèmes financiers et personnels, le label va se relancer temporairement au début des années 1990 et publier quelques albums en CD. Mis en pause longue durée depuis la fin des années 1990 (Jimmy Gray étant mort en 1999), il brille à nouveau de tout son éclat en cet été 2020 grâce à Soul Love Now : The Black Fire Records Story, 1975-1993. Œuvre de l’épatant label Strut, cette compilation synthétise idéalement le mince mais substantiel catalogue de Black Fire à travers dix morceaux emblématiques exsudant une fièvre musicale à forte coloration politique.

Groupe phare du label, Oneness of Juju y apparaît avec « Soul Love Now », crépitante ballade jazz-funk, et « African Rhythms », morceau-hymne de l’album homonyme (proposé ici dans une longue et incandescente version live). Se détachent par ailleurs « Children of Tomorrow’s Dreams », envoûtante psalmodie du collectif Theatre West (dans une veine très proche de Gil Scott-Heron), « Drummers from Ibadan », vertigineuse cavalcade rythmique de Byard Lancaster, « Third House », haletante embardée funky du Southern Energy Ensemble, ou encore « Follow Me », irrésistible invitation à la transe du percussionniste ghanéen Okyerema Asante.

Contenant notamment un long texte de James « Plunky » Branch et des infos détaillées sur chaque morceau, un dense livret parachève cette compilation. Sortie un peu avant, également chez Strut, et consacrée entièrement à Oneness of Juju, la compilation African Rhythms 1970-1982 offre un complément parfait.

Soul Love Now : The Black Fire Records Story, 1975-1993 (Strut/Big Wax).

Musique
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