« Un hiver à Wuhan » : Sourire du pire

En octobre 2019, Alexandre Labruffe est nommé attaché culturel en Chine. Dans Un hiver à Wuhan, il fait le récit inquiet et drolatique de son séjour dans la ville d’où est parti le nouveau coronavirus.

Christophe Kantcheff  • 16 septembre 2020 abonné·es
« Un hiver à Wuhan » : Sourire du pire
© Hector RETAMAL/AFP

On ne choisit pas toujours le moment opportun pour partir. Alexandre Labruffe a accepté un poste d’attaché culturel à Wuhan, en Chine, avec prise de fonction en octobre 2019. Cette ville chinoise tentaculaire de près de 9 millions d’habitants n’avait pas encore une réputation mondiale pour la raison que l’on sait. Pour autant, ce n’était déjà pas l’endroit idéal. « Nous ne sommes plus qu’à un siècle du paradis », dit l’exergue du livre – une citation d’Henri Michaux. L’éden se rapproche peut-être mais il y a encore de la marge…

Sait-on que dans cette ville, polluée jusqu’au dernier degré, apercevoir le ciel est un événement ? « Un dimanche à Wuhan. Ciel gris. Smog bas. Atomique. C’est l’AIRPOCALYPSE. On est à 514 microgrammes de particules fines par mètre cube d’air [102 est le record à Paris – NDLR]. » Dans ce pays hypercapitaliste, « rêve éveillé de l’Occident », l’auteur n’a pas de mal à imaginer la marchandisation de l’oxygène : « L’oxygène, devenu or blanc, transparent, ressource rare, est coté en Bourse. » Il ajoute : « Dans les villes, il y aura différentes zones plus ou moins contaminées, différentes qualités de l’air, que l’on pourra s’offrir ou pas. Le dérèglement de la planète : creuset et acmé des inégalités. »

Attention ! Un hiver à Wuhan n’est pas un brûlot écologiste. Disciple de Baudrillard, Alexandre Labruffe n’est certainement pas insensible à l’idée de simulacre s’inscrivant dans la réalité. D’où, même si ce qu’il décrit est effrayant, une incessante distanciation ironique sous sa plume. Il retrouve là le ton de son premier roman remarqué, Chroniques d’une station-service (1). Son sens de la formule, en particulier, fait mouche : « La Chine m’apprend le flegme, la nonchalance, l’aquaplaning (l’autre nom du tao). »

D’où l’impression que ce candide drolatique, découvrant les « charmes » de Wuhan, traverse un cauchemar éveillé, avec la sensation permanente d’être surveillé : son téléphone portable chauffe inconsidérément, des fichiers informatiques sont modifiés sur son ordinateur. Un candide particulier, puisque connaissant le mandarin et ayant déjà vécu en Chine en 1996 pour accomplir un stage en entreprise consistant à contrôler la qualité des innombrables produits envoyés en France. Mission impossible : les Chinois faisant tout (alcool, prostituées…) pour détourner le contrôleur de son travail.

Enfin vient le moment – Noël 2019 – où « une pneumonie virale se serait déclenchée dans un marché de fruits de mer et de poissons, à deux kilomètres de [son] boulot », précise-t-il. Un peu plus inquiet encore sans pour autant perdre son humour, l’auteur-narrateur assiste au déni chinois avant les méthodes autoritaires d’éradication du virus, et au déni en France (où il est entre-temps revenu) avant le confinement.

Au début du livre, Alexandre Labruffe confie qu’il avait l’intention de profiter de son séjour en Chine pour écrire une dystopie postapocalyptique barrée. Après en avoir écrit quelques pages, il s’est arrêté : sa fiction s’annonçait bien en deçà de ce qu’il vivait au présent. Un hiver à Wuhan n’annonce pas la fin du monde mais parvient à nous faire sourire de la manière dont celui-ci se défait.

(1) Verticales, 2019.

Un hiver à Wuhan, Alexandre Labruffe, Verticales, 128 pages, 12 euros.

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes