Sans-papiers : Les « invisibles » voulaient se montrer

Partis de six grandes villes, les centaines de sans-papiers de la Marche des solidarités ont convergé le 17 octobre à Paris. Le gouvernement n’a livré qu’un seul message : un mur de CRS.

Jules Peyron  • 21 octobre 2020 abonné·es
Sans-papiers : Les « invisibles » voulaient se montrer
© Frederic Migeon / Hans Lucas/AFP

Le 19 septembre, ils partent de Marseille. Quelques centaines de sans-papiers avec un objectif en tête : se rendre à l’Élysée pour rencontrer Emmanuel Macron. Leurs demandes sont limpides : régularisation de l’ensemble des sans-papiers, fermeture des centres de rétention, logements pour tou·tes. Francky a marché 27 jours, au rythme de 35 à 40 kilomètres quotidiens. Au début ce fut dur mais, arrivé à Paris, le Marseillais l’assure : « C’était la meilleure expérience de ma vie. » Le quadragénaire a traversé une centaine de villes et n’y a vu que de la solidarité. Comme Baba, parti de Rennes le 3 octobre et qui insiste sur « l’accueil chaleureux reçu partout où l’on est passés ».

La Marche des solidarités n’a pas fait grand bruit dans les médias. Pourtant, la convergence de marcheurs venus des quatre coins de la France – de Marseille, Montpellier et Grenoble au sud, de Rennes à l’ouest, de Lille au nord et de Strasbourg à l’est – avait quelque chose d’historique. Derrière ceux qui ont pris la route, des soutiens nombreux. Au total, 280 collectifs, associations, syndicats, partis politiques ont signé l’appel « On marche vers l’Élysée ! »

Arrivés à Paris, les cortèges se sont rassemblés le samedi 17 octobre place de la République. Ils y ont retrouvé des milliers de manifestants. Dans le cortège, les histoires se bousculent et les avis convergent : « Sans papiers, tu n’es rien. » C’est Issa qui le dit. Malien, arrivé en France il y a sept ans, le trentenaire a perdu son emploi dans l’hôtellerie pendant le confinement. La crise sanitaire a heurté de plein fouet de nombreux sans-papiers comme lui. Beaucoup ont continué à travailler au noir, assumant le rôle de « premiers de corvée ». D’autres ont perdu leur emploi, comme Francky, qui était plongeur dans un restaurant marseillais, ou Issa, qui lance : « Notre maladie est bien plus grave que le -coronavirus. »

Ce 17 octobre, le but était de se faire entendre du Président, en exigeant que ce dernier reçoive une délégation à -l’Élysée. Malheureusement, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Le mardi 13 octobre, soit quatre jours avant la manifestation, la préfecture de police de Paris avait publié un arrêté interdisant le parcours déposé par les organisateurs. Ces derniers souhaitaient se rendre place de la Concorde, au plus près du palais de l’Élysée. À la place, la préfecture a proposé aux marcheurs de se diriger vers l’église de la Sainte-Trinité, dans le IXe arrondissement. Les organisateurs ont refusé, arguant que « la question des sans-papiers n’est pas une question de sécurité ou de police, mais une question politique d’égalité des droits ».

Mais le samedi, au départ de la manifestation place de la République, des grillages dressés par la police empêchent les manifestants d’emprunter les axes voulus. Les forces de police emmènent tout le monde à Trinité avant de bloquer à nouveau le passage. Une déception pour Salif, Malien de 27 ans, qui demande plein d’espoir : « Vous croyez que Macron va nous entendre ? Pour l’instant, il ne nous voit pas. Mais, s’il nous voit, si on peut aller sous ses fenêtres, les choses changeront peut-être ! »

Bakary, en France depuis neuf mois, dort parfois dans la rue. Salif, dans la cuisine de son foyer car il n’a pas de place ailleurs. Ahmed, Sacko, Kefing n’arrivent pas à trouver de travail et attendent désespérément d’obtenir leurs papiers pour que leur situation se débloque. Face à eux samedi, les camions de CRS font barrage. Pas question de forcer le passage. « Les Français pourraient prendre le risque, pas nous », constate Francky. Être bloqués ainsi, tenus à l’écart des lieux de pouvoir, sera « la seule déception de cette journée historique », décrète Anzoumane Sissoko, l’un des organisateurs de l’événement. Malien sans papiers pendant vingt-deux ans avant d’être naturalisé, il est conseiller municipal du dix-huitième arrondissement de Paris depuis le mois de juillet.

Pas question d’en rester là maintenant que la dynamique est lancée. La marche des solidarités constituait l’acte 3 d’un mouvement entamé avec la manifestation du 30 mai dernier à Paris, puis poursuivi le 20 juin avec des manifestations dans toute la France. En cinq mois, les sans-papiers n’ont pas reçu un mot du gouvernement. Mais, « à travers toute la France, on a rencontré des collectifs, les carnets de contacts sont pleins, on est prêts à organiser une coordination nationale », se réjouit Francky. Alors, forcément, un acte 4 est déjà en préparation.

Société Travail
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