Christian Prigent : De la poésie partout

Christian Prigent est très présent dans l’actualité éditoriale, sur de multiples supports. Au programme : une correspondance avec Francis Ponge et des écrits sur l’art, la culture gréco-latine, les gilets jaunes…

Christophe Kantcheff  • 2 décembre 2020 abonné·es
Christian Prigent : De la poésie partout
Dans les œuvres de Cy Twombly, Christian Prigent décèle un entre-deux mêlant jouissance et sens.
© Johannes Simon/AFP

On attend pour le printemps un nouvel épisode, écrit pendant le premier confinement, des aventures de Chino, entamées par Christian Prigent avec Les Enfances Chino (POL), en 2013 (voir Politis n° 1260, du 4 juillet 2013). Pour autant, le poète, l’un des écrivains français qui nous sont ici les plus chers, n’est pas absent de l’actualité éditoriale. Tant s’en faut. Deux livres de lui paraissent, tandis qu’il est au sommaire d’un autre ouvrage ainsi que d’une revue. Celle-ci n’est autre que Lignes, dont la dernière livraison est intitulée « La Pensée sous séquestre », composée de textes analysant notre période de crise sanitaire. Christian Prigent, quant à lui, a inséré dans sa contribution, intitulée « Retranché », un extrait de son Chino à venir, où il est question du mouvement des gilets jaunes.

Prigent a toujours été un auteur politique, ayant participé activement aux avant-gardes littéraires des années 1970. C’est ainsi qu’on le retrouve dans la formidable correspondance qu’il a entretenue avec Francis Ponge entre 1969 et 1986, publiée sous le titre Une relation enragée dans une édition établie par Benoît Auclerc. Le jeune avant-gardiste, qui vient de fonder une revue littéraire, TXT, dans le sillage politico-théorique de Tel Quel, s’adresse à un poète reconnu, qu’il admire absolument – leur mise en question radicale de la langue commune et leur rejet du lyrisme les rapprochent. Celui-ci va lui ouvrir la porte d’un certain milieu auquel il aurait eu, sans cela, plus difficilement accès : Sollers, Kristeva, Derrida, Denis Roche (poète, photographe et futur éditeur au Seuil)…

Si les lettres de l’auteur du Parti pris des choses sont chaleureuses mais laconiques, Christian Prigent, lui, parle de son travail théorique alors en cours sur la poésie pongienne, mais aussi des difficultés qu’il rencontre aussi bien à confectionner les numéros de TXT qu’à se faire éditer. Entrent en jeu ici les véhémentes -oppositions -esthétiques et politiques (communistes versus maos), mais aussi le fait que Prigent soit dénué de capital social et symbolique : provincial (Rennes), enseignant en collège, il n’est pas du sérail.

Coup de théâtre en 1975 : les deux hommes déchirent leur amitié en raison de divergences politiques de plus en plus criantes (Francis Ponge se droitise). Puis, le temps passant, les dernières pages font place à une réconciliation in extremis.

« J’ai rêvé, je rêve toujours, que l’écriture poétique ait, sur son lecteur, des pouvoirs équivalents à ceux de la peinture. » C’est ce que déclare Christian Prigent dans La Peinture me regarde. Écrits sur l’art, 1974-2019. Les œuvres d’art l’ont toujours accompagné. Ses souvenirs remontent à loin : le bureau de son père assombri par des montagnes de livres mais recelant des puits de lumière et de sensualité : des représentations de Matisse ou de Picasso. Ce livre rassemble nombre de textes écrits sur plusieurs artistes, notamment du mouvement Supports/-Surfaces (Dezeuze, Viallat…) ou de grands modernes tels Twombly ou Bacon (auquel il consacre un article réservé). Il s’intéresse aussi à quelques œuvres anciennes, notamment Le Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars, dont il livre une analyse osée, à tous les sens du terme. Ses choix vont vers des peintres dont il reconnaît dans leurs œuvres un questionnement semblable à ceux qu’il se pose dans la langue. Il écrit ainsi à propos du travail de Twombly : « Ces dessins dévident leurs guirlandes savantes et frustes à la fois dans l’entre-deux où se séparent sans cesse et se retrouvent parfois jouissance et sens. » Ou innommable et énonçable, autre entre-deux prigentien.

Le poète est également au sommaire d’une somme a priori austère dont la lecture s’avère en réalité fort stimulante. Son titre annonce le programme : L’Héritage gréco-latin dans la littérature française contemporaine, textes réunis et présentés par Bénédicte Gorrillot. Mêlant écrivains et universitaires, ce livre montre combien ces cultures anciennes, loin d’être mortes, contribuent à vivifier la langue de ces auteurs. Comme toujours chez Prigent, cet héritage-là se manifeste de façon aussi savante que comique !

Lignes****, octobre 2020, n° 63, 205 pages, 20 euros.

Une relation enragée****, Francis Ponge etChristian Prigent, L’Atelier contemporain, 224 pages, 25 euros.

La peinture me regarde, Christian Prigent, L’Atelier contemporain, 496 pages, 25 euros.

L’Héritage gréco-latin dans la littérature française contemporaine, Droz, 544 pages, 39 euros.

Littérature
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