La gratuité des protections menstruelles : un combat mondial

Les politiques de lutte contre la précarité menstruelle dépassent rarement la réduction de la TVA sur les protections périodiques, à l’égal des autres produits de première nécessité.

Patrick Piro  • 13 janvier 2021 abonné·es
La gratuité des protections menstruelles : un combat mondial
Une distribution de protections, à Nairobi, au Kenya, en juillet 2020.
© Fredrik Lerneryd / AFP

La survenue des règles, objet de tabous un peu partout dans le monde, génère des discriminations allant jusqu’à l’ostracisation des femmes pendant cette période. Cependant, la difficulté la plus généralisée tient au déficit de services sanitaires de base, comprenant les produits d’hygiène menstruelle. Selon l’Unicef, 2,4 milliards de personnes sont concernées, soit un tiers de la population mondiale. Le manque de protections périodiques ou l’absence fréquente de sanitaires réservés aux filles sont une cause d’absentéisme scolaire pour 10 % d’entre elles en Afrique, calculait l’Unesco en 2014.

Cette précarité menstruelle, quand elle est prise en compte, induit généralement, dans un premier temps, des programmes ciblés de distribution de protections hygiéniques dans les écoles, les dispensaires… Mais ils sont souvent d’une portée limitée (lieux de mise à disposition, approvisionnement, confidentialité, etc.), voire inopérants, comme au Royaume-Uni durant la crise du Covid-19, où, selon une enquête de Plan International UK, 30 % des filles de 14 à 21 ans ont eu des difficultés pour trouver des produits hygiéniques pendant le confinement, notamment en raison de la fermeture des écoles, devenus points d’accès gratuits par une mesure gouvernementale en 2019.

Et quand bien même les produits seraient facilement disponibles dans le commerce, leur prix les rend souvent inabordables pour les plus précaires. Le cabinet international FSG estimait en 2016 que 65 % des femmes kényanes n’ont pas les moyens de s’en procurer. Aux États-Unis, selon un sondage de 2019, 20 % des adolescentes ne peuvent se payer des protections hygiéniques, préférant sécher les cours pendant leurs règles. En Chine, le budget d’un an de tels produits peut s’élever à plus d’un mois de salaire pour les 600 millions de personnes les plus pauvres.

Si les campagnes de lutte contre la précarité menstruelle s’attachent à modifier la perception sociale des menstruations, elles visent surtout à réduire l’injustice économique subie par les femmes. Revendication de base : considérer les protections comme des produits de première nécessité. Une étude de la fondation espagnole Civio montrait en 2018 que la moitié des pays de l’Union européenne leur appliquaient la même TVA qu’aux produits de luxe, aux cigarettes ou aux boissons alcoolisées, avec des taux allant de 19 % en Allemagne (passé depuis à 7 %, en 2019) à 27 % en Hongrie. Six pays (Belgique, Chypre, France, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) avaient adopté, pour certains articles, le taux réduit (entre 5 % et 6 %) réservé aux produits de première nécessité.

L’Irlande se distingue avec une TVA nulle (1). Le Royaume-Uni vient de la rejoindre le 1er janvier. Les militantes s’en réjouissent, bien que certaines dénoncent l’instrumentalisation de la mesure par le Premier ministre, Boris Johnson : elle a été adoptée le tout premier jour du Brexit, afin de vanter les avantages de la sortie de l’Union européenne pour le peuple britannique.

Le Kenya est cependant le premier pays au monde à avoir éliminé la TVA sur les protections hygiéniques, en 2004. Il a été suivi depuis par le Canada, l’Inde, la Malaisie, le Nicaragua, la Tanzanie, Trinidad et Tobago, l’Ouganda, ainsi que par quatorze États des États-Unis (Californie, Connecticut, Floride, Illinois, Maryland, Massachusetts, Minnesota, New Jersey, New York, Nevada, Ohio, Pennsylvanie, Rhode Island et Utah). Au Rwanda, la suppression de la TVA, fin 2019, a eu pour conséquence immédiate un recul de près de 20 % de l’absentéisme féminin à l’école.

La loi écossaise de novembre 2019 est d’une tout autre portée, puisque les autorités locales ont désormais obligation, sous deux ans, de mettre des protections périodiques gratuites à disposition de qui le souhaite. En effet, la suppression de la TVA, si elle peut parfois représenter une économie substantielle (un cinquième du prix des produits d’hygiène dans les pays scandinaves), est loin d’être décisive pour réduire la précarité menstruelle. En Corée du Sud, les serviettes hygiéniques restent deux fois plus chères qu’au Danemark, bien qu’exemptées de TVA depuis 2004 au titre de la « première nécessité » (seuls produits hygiéniques à en bénéficier). Fin 2017, des témoignages d’adolescentes, réduites à glisser des semelles de chaussures dans leur slip, ont incité le gouvernement à mettre en place un programme national de distribution de protections périodiques gratuites à destination des jeunes.

(1) Le pays a adopté la mesure avant que l’UE n’impose des taux réduits planchers.

Société
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