Le moment saint Thomas

Ce qui ne se rattrapera pas, c’est la désagréable impression que le gouvernement n’agit pas, mais « réagit ». Il réagit sous la pression de l’opinion. Il navigue à vue, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, moins par incompétence que par opportunisme.

Denis Sieffert  • 6 janvier 2021
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Le moment saint Thomas
© JEFF PACHOUD / AFP

Souvenez-vous, c’était il y a seulement deux semaines. La polémique faisait rage. Le gouvernement était soupçonné de vouloir rendre la vaccination obligatoire. Il avait dû vivement renvoyer son projet à plus tard. À jamais sans doute. Vous vous êtes éloignés quelques jours des feux ardents de l’actualité, et voilà qu’au retour c’est une autre polémique, à front renversé, qui agite le pays. Le même gouvernement est accusé de freiner l’injection du précieux sérum. Vu de Sirius, cela donne l’impression d’une société d’une incroyable versatilité. Mais le pays n’est pas versatile, il est divisé. Et sur un sujet plus profond qu’il y paraît, qui n’est pas seulement pour ou contre un vaccin, mais qui se pose la question de la vérité et du mensonge en politique, et peut-être, plus grave encore, dans la science. Parfois jusqu’à la déraison, le doute s’étend à toutes les sphères de la connaissance. Malade non seulement de la pandémie, notre société traverse une terrible crise de confiance. On lui a trop menti. Et le mal remonte à loin. L’épreuve de la pandémie agit comme un révélateur. Du coup, notre pays est peuplé de saint Thomas. L’apôtre qui ne croyait pas à la résurrection du Christ parce qu’il ne l’avait pas vue deviendrait presque le saint patron des sceptiques en tout genre. Nombre de nos concitoyens ne veulent plus croire que ce qu’ils voient. Ils voulaient voir que le vaccin n’est pas nocif. Après des millions de doses injectées dans le monde, ils ont pu s’en convaincre. Mais ils demandent à présent à voir ses effets. Nous protège-t-il vraiment, et pour combien de temps ? Et quand va-t-il nous permettre de tomber les masques, d’embrasser nos proches, de retourner au café, au théâtre, au cinéma, de se mêler à des fêtes qui ne nous attirent pas immédiatement les CRS ? Rien de tout ça ne peut encore se voir. Et – particularité française – en début de semaine, même le vaccin ne se voyait pas.

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Le gouvernement aurait eu l’occasion de redonner un peu d’espoir, de montrer que le mort ne saisirait pas le vif. Raté ! Emberlificoté dans une stratégie savante, il a mis notre pays à la traîne, loin derrière nos voisins. Or, face à l’Himalaya que dresse devant nous la pandémie, avec sa variante encore plus contagieuse, il n’existe qu’un remède, qui n’est surtout pas saint Thomas, mais le vaccin, et pour cela, la confiance. Et c’est peu dire qu’elle fait défaut. On ne reviendra pas ici sur l’affaire des masques, mais le souvenir de ce mensonge d’État est toujours omniprésent. Le traumatisme est tel que l’on en vient à se demander si la fameuse stratégie qui consistait – allez savoir pourquoi – à retarder la vaccination des personnels soignants ne dissimulait pas encore un mensonge comme un manque de doses ou une incapacité à assurer la chaîne du froid. La réponse est probablement ailleurs, à la fois politique et administrative. Contrairement à l’épisode des masques, la France est aujourd’hui logée à la même enseigne que ses voisins européens. Il manque surtout au sommet de l’État du bon sens, de la simplicité, et de l’efficacité. Victime de ses propres erreurs, le gouvernement semble avoir peur de son ombre. Les sondages montrant l’opposition au vaccin d’une bonne moitié de la population, il s’est d’abord confondu en mille précautions. Pris la main dans le sac d’un projet de loi d’une incroyable maladresse qui laissait penser que la vaccination pourrait être rendue obligatoire, il a donné des gages à ce brave saint Thomas. Après avoir inutilement inquiété, il a donc voulu rassurer par une lenteur organisée. Une erreur n’attend pas l’autre.

Pris de panique, il hâte enfin le mouvement. Mais en commençant par la démagogie : feinte colère d’Emmanuel Macron, comme si le président de la République n’avait été informé de rien ; et création d’un « collectif citoyen », comme si le Parlement n’existait pas. Certes, dans quelques semaines, le retard finira par être rattrapé. Ce qui ne se rattrapera pas, hélas, c’est le nombre de victimes du Covid qui auraient pu être évitées sans tous ces jours perdus. Ce qui ne se rattrapera pas non plus, c’est la désagréable impression que le gouvernement n’agit pas, mais « réagit ». Il réagit sous la pression de l’opinion. Il navigue à vue, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, moins par incompétence que par opportunisme.

L’autre cause de nos déboires est administrative. Elle touche à notre tradition politique, tatillonne et ultra-centraliste qui se manifeste par cette éternelle défiance à l’encontre des élus et des territoires. Il est bien sûr nécessaire d’obtenir le consentement des résidents des Ehpad. Mais rien de tout ça n’était incompatible avec l’ouverture de centres de vaccination à tous les volontaires, comme c’est le cas à peu près partout ailleurs dans le monde. Mieux que tous les discours, une campagne massive et rapide aurait eu un effet d’entraînement sur la plupart des sceptiques. De quoi allumer une lueur d’espoir au bout de ce long tunnel. Dans un tel contexte, on ne peut que souhaiter que l’opposition de gauche n’en rajoute pas en excitant les doutes mal placés ou en idéologisant le débat. La politique vaut mieux que ça. Les enjeux sont trop importants. C’est la démocratie qui est malade. Ce n’est pas saint Thomas qui la guérira, mais une politique de cohérence, de vérité et de sincère empathie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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