Une « décision » politique

Le juge des référés du Conseil d’État qui a refusé de suspendre les décrets autorisant le fichage politique était récemment directeur de cabinet de Nicole Belloubet.

Michel Soudais  • 12 janvier 2021
Partager :
Une « décision » politique
© Photo : CRÉDITLUDOVIC MARIN / AFP

Une nouvelle atteinte conséquente portée aux droits et aux libertés n’a pas eu la publicité qu’elle méritait. Le 4 janvier, le Conseil d’État a rejeté le référé-suspension contre les décrets du 2 décembre modifiant trois fichiers de police (1) en vue d’autoriser policiers et gendarmes à faire mention des « opinions politiques », des « convictions philosophiques et religieuses », et de « l’appartenance syndicale » de leurs cibles, alors que les précédents textes se limitaient à recenser des « activités ». Identifiants, photos et commentaires postés sur les réseaux sociaux y seront aussi listés, tout comme les troubles psychologiques et psychiatriques « révélant une dangerosité particulière ». Les « personnes morales », telles que les associations, sont également visées.

Auparavant limités aux hooligans et aux manifestants violents, ces fichiers recenseront aussi les données des personnes soupçonnées d’activités terroristes ou susceptibles « de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ». Une notion aussi floue qu’extensible qui justifiait pleinement la demande de suspension réclamée par sept organisations syndicales – la CGT, FO, la FSU, l’Unef, Solidaires, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature – ainsi que le Gisti.

Le Conseil d’État ne l’a pas entendu ainsi. Pour lui, ces décrets ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale. Tout juste a-t-il précisé dans ses décisions que la seule appartenance syndicale ou politique ne permettait pas le fichage des personnes et qu’il fallait la relier à des activités portant atteinte à la sécurité ou à la sûreté de l’État. Cette défaillance de la plus haute juridiction administrative à protéger nos libertés de la dérive autoritaire du gouvernement n’est pas nouvelle.

Lire > Le Conseil d’État, ou l’abandon des contre-pouvoirs

Elle s’explique ici par la personnalité du juge des référés qui a examiné ce recours. Avant de réintégrer le Conseil d’État, Mathieu Hérondart était depuis juin 2017 et jusqu’au 6 juillet 2020 le directeur de cabinet de Nicole Belloubet, ministre de la Justice, après avoir été de 2008 à 2013 le secrétaire général adjoint de ce ministère et, en 2007, directeur adjoint du cabinet de Rachida Dati. Il s’est ainsi retrouvé en situation de juger les actes d’un gouvernement dont il était membre il y a encore quelques mois. Ces allers-retours entre le gouvernement et le Conseil d’État conduisent à de graves dysfonctionnements dans la séparation des pouvoirs au détriment des citoyens.


(1) Ces trois fichiers sont le Pasp (prévention des atteintes à la sécurité publique) de la police, le Gipasp (gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique) des gendarmes et l’EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« AI girlfriends » : les femmes sont devenues obsolètes
Parti pris 18 juillet 2025

« AI girlfriends » : les femmes sont devenues obsolètes

Présentées comme rempart à la solitude, les petites amies créées par intelligence artificielle contribuent à la chosification des femmes. Un symptôme alarmant, qui montre combien cet usage de l’IA, à l’instar de celle d’Elon Musk, est créé par et pour les masculinistes violents.
Par Juliette Heinzlef
Libération de Georges Ibrahim Abdallah : la fin d’un scandale d’État
Justice 17 juillet 2025

Libération de Georges Ibrahim Abdallah : la fin d’un scandale d’État

Après 40 ans de détention arbitraire en France, l’activiste libanais pro-palestinien va retrouver la liberté le 25 juillet. Sa libération avait été refusée une première fois par Manuel Valls en 2013, alors qu’il pouvait déjà sortir de prison depuis 1999.
Par Denis Sieffert
Budget : Bayrou, boucher de l’État
Parti pris 15 juillet 2025

Budget : Bayrou, boucher de l’État

En annonçant des mesures d’austérité d’une ampleur rare, François Bayrou a fait le choix, non pas de la « responsabilité » et de la « justice », mais du massacre social et écologique du pays. Le tout, en préservant les plus aisés.
Par Pierre Jequier-Zalc
Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée
Parti pris 15 juillet 2025

Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée

La Légion d’honneur attribuée à Sophia Aram le 14 juillet incarne une dérive de cette distinction, désormais utilisée pour récompenser des voix qui stigmatisent les musulmans et dévalorisent les luttes antiracistes. En l’honorant, l’État légitime un discours d’exclusion et de division.
Par Pierre Jacquemain