Hans Magnus Enzensberger : Des vers qui aèrent

La poésie très singulière de Hans Magnus Enzensberger se déploie dans un beau florilège.

Jérôme Provençal  • 3 février 2021 abonné·es
Hans Magnus Enzensberger : Des vers qui aèrent
© Leemage via AFP

Entré en littérature il y a plus d’un demi-siècle, l’Allemand Hans Magnus Enzensberger – aujourd’hui âgé de 91 ans – est d’abord (re)connu en France comme essayiste et romancier grâce à des livres tels que Culture ou mise en condition ?, Le Bref Été de l’anarchie ou, plus récemment, Tumulte. Ayant également écrit des livres pour enfants et des pièces de théâtre, il creuse en outre le champ de la poésie depuis ses débuts.

Aux recueils déjà parus chez Gallimard (Poésies et Mausolée) s’ajoute maintenant Poèmes (1980-2014), un florilège publié par Vagabonde, stimulante maison d’édition indépendante installée à Gaillac (Tarn). Bilingue, l’ouvrage réunit 78 poèmes, la plupart en vers libres, traduits en français par Patrick Charbonneau. Celui-ci jongle agilement avec les langues et signe une parfaite adaptation graphique sur « La Savonnette », le fond et la forme (se) fondant idéalement ensemble en français.

D’un poème à l’autre, hormis une charge convenue contre une certaine corporation (« Les Architectes »), se manifeste une pensée légère, tendue vers l’épure, à l’acuité pénétrante. Qu’il aborde la vie matérielle (« La Gamelle », « Le Numéraire »), évoque le passé (« En souvenir de », « Avant », « Une vieille révolution », « Nuremberg 1935 »), observe la mort approcher (« Éventuellement »), scrute une question abyssale (« Pourquoi quelque chose pèse-t-il quelque chose plutôt que rien ? ») ou synthétise l’implacable marche du monde (« Disharmonie préétablie »), regarde en lui ou autour de lui, Enzensberger manifeste une singulière sérénité caustique, oscillant entre détachement ironique et désenchantement laconique. Fertile en fulgurances, sa poésie aère la tête. « Au-delà du brouillard qui mure ton cerveau, il existe d’autres contrées qui sont plus bleues que tu ne penses » (« À bleu toute »).

Poèmes (1980-2014), Hans Magnus Enzensberger, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Vagabonde, 218 pages, 20,50 euros.

Littérature
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