Patrick Chamoiseau : « La résistance s’est faite par la création »
Patrick Chamoiseau met en exergue le père de la littérature antillaise : l’esclave qui prenait la parole lors des veillées mortuaires.
dans l’hebdo N° 1650 Acheter ce numéro

© Ulf Andersen/AFP
De sa Martinique natale, Patrick Chamoiseau a répondu à nos questions par Skype avec générosité. En écho à son magnifique Le Conteur, la Nuit et le Panier, il mêle ici considérations sur la littérature, la politique et ce que lui (nous) ont apporté Aimé Césaire et Édouard Glissant (1).
Vous évoquiez déjà votre formation d’écrivain dans Écrire en pays dominé (Gallimard), paru en 1997. Qu’avez-vous découvert depuis qui vous a poussé à y revenir ?
Patrick Chamoiseau : Sciences Po-Paris m’a proposé une chaire de créativité au début de 2020. Je me suis dit que le mieux était de tenter d’expliquer aux étudiants quelle était mon esthétique, ma « boîte à outils ». Dans Écrire en pays dominé, j’avais raconté comment Édouard Glissant avait identifié le conteur créole comme point de départ pour un écrivain des Amériques. Dans la plantation, lors des veillées mortuaires où les esclaves sont autorisés à se réunir autour de leurs défunts, l’un d’eux se lève et prend la parole pour capter l’attention durant la nuit entière. Glissant dit que ce qui se produit là est un phénomène important de création et qu’il faut prendre le relais de ce conteur.
La dimension orale a toujours été présente dans mes textes pour, dans un premier temps, y intégrer la langue créole et rétablir l’oralité face à l’écrit imposé par la puissance coloniale. Mais je ne m’étais pas intéressé à la figure du conteur. Qui était-il ? Je savais qu’il n’était pas un « nègre marron », c’est-à-dire qu’il n’avait pas fui et acceptait sa condition. Je savais aussi que ce qu’il racontait était une contestation radicale de l’esclavage. Ce qui me semblait mystérieux. Mais je n’avais jamais considéré ce conteur comme un artiste, un créateur disposant d’une esthétique. C’est ce qui fait la différence entre Écrire en pays dominé et Le Conteur, la Nuit et le Panier. Je décris celui qui est le père de la littérature antillaise