Une indigestion de résilience

Le discours « positif » de l’adaptation aux catastrophes est du pain bénit pour la science économique, qui promeut le « vivre-avec » et rend invisibles celles et ceux qui sont détruits ou promis à une mort lente.

Geneviève Azam  • 7 avril 2021
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Une indigestion de résilience
Le « pin du miracle », au Japon, qui a survécu au tsunami de 2011.
© Charly TRIBALLEAU / AFP

Projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », c’est classe ! « Climat et résilience », encore mieux. Il ne reste plus qu’à répéter le mantra.

Comme beaucoup a été dit à propos de la non-lutte contre le dérèglement climatique, il reste la résilience. C’est un exemple magistral du broyeur de langage qu’est la machine idéologique du néolibéralisme et de la pensée technicienne. Si nous nous en tenons à l’étymologie, la résilience désigne un retour en arrière et la capacité à reprendre, à « rebondir ». Dans les sciences physiques, la résilience est l’aptitude d’un système à perdurer et à se réorganiser face à des chocs externes. Du pain bénit pour la science économique, qui convertira sans difficulté la notion dans son appareillage mécaniste. La recherche de l’équilibre, d’un réglage face à des chocs – disons des « irrégularités », des « failles », des « risques », pour rester dans l’horizon de cette « science » – est une part essentielle de son activité.

Pain bénit à un moment où surgissent des questions qui sapent les soubassements des modèles économiques. Le chaos climatique a peu à voir avec une horloge déréglée. Il met au jour des processus irréversibles, un temps non linéaire, fracturé. Avec la résilience, tout devient à nouveau réversible : l’économie peut rebondir et croître à l’infini. Du mal naîtra le bien, de la même manière que du calcul individuel égoïste naît le bien-être collectif dans un jeu gagnant-gagnant. Malheur aux vaincus. La lumière de la main invisible est au bout du tunnel, elle guide vers un nouvel équilibre. Adoptons tous des comportements individuels résilients au lieu de sombrer dans le tragique, fabriqué par des écologistes et des scientifiques épris de complexité et ignorant les lois simples de l’économie. Annexons et simplifions la psychologie de Boris Cyrulnik quand elle étudie la résilience comme capacité à survivre à un choc traumatique. Faisons de la résilience l’autre nom, plus chic, de l’adaptation et de la flexibilité.

La résilience est partout. Surtout là où est vécu l’irréversible. La machine nucléaire en a fait sa pierre philosophale. Comme le montre Thierry Ribault (1) dans un livre très documenté, la résilience s’expérimente in vivo à Fukushima dix ans après la catastrophe. Les habitants de la zone irradiée, soumis à la propagande et à de multiples pressions, sont incités à y retourner pour expérimenter la « vie avec » les radiations, moyennant un équipement technique leur permettant de s’autogouverner à chaque instant. Le vivre-avec, depuis les pollutions diffuses et invisibles jusqu’aux pandémies, élargit le champ expérimental à toute la société, jusqu’aux sphères les plus intimes. Il rend invisibles celles et ceux qui sont détruits ou promis à une mort lente.

Nombre de mouvements écologistes se sont emparés de cette notion. Je pense au mouvement de la transition de Rob Hopkins (2), né en 2005, et à ses nombreuses déclinaisons. Dans ce cas, et contrairement aux approches précédentes, la résilience ne vise pas à gommer les chocs, les irréversibilités, à « vivre avec » le monde tel qu’il est. Elle prend acte de ces chocs, non par fatalisme, mais parce qu’ils sont désormais, pour une part, indépendants de la volonté et de la « toute-puissance » humaines. Des catastrophes sont enclenchées, des seuils sont dépassés. Plutôt que de se laisser engloutir individuellement, des mouvements de base sont engagés sans attendre dans des systèmes locaux, recherchant notamment une autonomie énergétique et alimentaire fondée sur les communs, la sobriété, les low-tech et la justice.

Pour la plupart, ces mouvements de base ne peuvent être associés à la gestion « résiliente » de la catastrophe. Toutefois, l’accélération de la décomposition du monde révèle l’illusion de la « transition », en ce qu’elle suggère à nouveau un temps linéaire, une évolution sans accrocs majeurs, sans affrontement.

Le discours « positif » de la résilience, appliqué aux sociétés et aux milieux de vie, en l’occurrence à des sociétés meurtries et à des milieux détruits ou dégradés, désarme au lieu d’ouvrir l’espoir.

Par Geneviève Azam Membre d’Attac.

(1) Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs, Thierry Ribault,L’Échappée. Lire _Politis__,_ n° 1644, 11 mars 2021.

(2) Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Rob Hopkins, Écosociété, 2010.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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