À Calais, la crise sanitaire contre la solidarité

La situation sanitaire due à la pandémie de covid-19, avec les restrictions des libertés qu’elle induit, est utilisée par les autorités contre l’aide aux personnes en exil.

Malika Butzbach  • 2 juin 2021 abonné·es
À Calais, la crise sanitaire contre la solidarité
© DENIS CHARLET / AFP

Créée en 2016, l’association la Cabane juridique œuvre à l’accès au droit pour les personnes exilées. À Calais, les membres sont en première ligne pour constater les obstacles que les institutions mettent en place à l’encontre de ces personnes mais aussi des bénévoles qui leur viennent en aide.

Alors qu’on parle d’un « effet Darmanin » dans la répression aux frontières, avez-vous vu des évolutions dans la situation à Calais ?

La Cabane juridique : Il y a toujours eu de la répression. Plus qu’un effet Darmanin, ce que l’on constate, c’est l’utilisation de la crise sanitaire pour mettre des bâtons dans les roues aux bénévoles qui viennent en aide aux exilés. Difficile de compter le nombre de verbalisations dont ont écopé les membres d’Utopia 56 ou de Human Rights Observer pour « non–respect » du confinement, puis du couvre-feu… Et, comme c’est le cas depuis longtemps, les bénévoles sont la cible de contrôles policiers. Certains se sont fait verbaliser car ils n’avaient pas de gilet jaune dans leur voiture !

Mais cette crise est aussi utilisée pour restreindre l’accès au droit des personnes exilées. Par exemple, pour des raisons sanitaires, il n’est plus possible de les accompagner quand elles ont des rendez-vous à la préfecture. Pourtant l’accompagnement est quelque chose d’important dans les activités des bénévoles.

En septembre 2020, un arrêté préfectoral a été pris pour interdire la distribution de repas dans le centre-ville, afin d’éviter les contaminations par le covid-19. Est-il toujours en application ?

On en est à la dixième version de cet arrêté depuis l’automne. Le 6 avril, la préfecture l’a prolongé jusqu’au 3 mai. Le tribunal administratif, saisi par les associations, avait reconnu la légalité de ce texte car il s’agit d’une mesure limitée dans le temps et dans l’espace. Difficile de parler d’une limitation dans le temps alors que le texte est toujours prolongé. De plus, à chaque version, de nouvelles rues apparaissent : petit à petit la limitation de l’espace grandit. On a même vu l’installation de dispositifs urbains, comme des grosses pierres, pour empêcher les camions de distribution d’accéder aux migrants. Il y a toujours eu la volonté de repousser les exilés hors du centre-ville, de les invisibiliser. Ils se sont donc installés en périphérie de la ville, mais ils en sont expulsés de manière récurrente.

Avez-vous constaté une augmentation des expulsions avec la crise ?

Cette politique d’élimination de tout point de fixation est ancienne : les autorités veulent empêcher les exilés de s’installer durablement et évacuent les camps. C’est un véritable harcèlement qui condamne les exilés à l’errance. L’objectif est de les décourager de rester, mais cela ne marche pas : ces personnes ont vécu de telles horreurs pour venir jusqu’en Europe, ce n’est pas le harcèlement des policiers qui les découragera. En revanche, ces expulsions les confortent dans leur désir de partir en Angleterre. Dernièrement, on a même vu l’expulsion d’une structure d’hébergement, la Crèche, gérée par les associations…

Le tribunal administratif a donné raison à la mairie de Calais, qui avait pris un arrêté pour fermer cette structure. Selon le juge, les dispositifs de l’État sont suffisants. Comment analysez-vous cette décision ?

La Crèche était connue par les personnes exilées : elles avaient confiance dans les associations qui la géraient. Surtout, cette structure visait un hébergement d’urgence et accueillait les mineurs isolés. Elle palliait les déficits de l’État. Les jeunes y allaient lorsqu’ils étaient refusés par le foyer de mineurs étrangers de Saint-Omer, car pas reconnus comme tels, et qu’il n’y avait plus de place dans les structures du 115… Les centres d’accueil et d’examen de la situation (CAES), évoqués par le juge, ne visent pas l’hébergement d’urgence. Surtout, ces centres ne sont pas adaptés aux besoins des exilés, ne serait-ce que parce qu’ils sont loin de Calais.

Les outils de répression à l’encontre des bénévoles augmentent et les acteurs qui les utilisent aussi. Comment lutter contre cela ?

C’est très difficile car ces acteurs travaillent ensemble, ce qui s’apparente à un système complexe. Lorsque l’on conteste juridiquement une action de l’un, il renvoie la balle à l’autre, ce qui les rend intouchables. Par exemple, le préfet a décidé, pendant l’automne dernier, l’expulsion de la jungle de l’hôpital sans décision juridique. Lorsque nous avons contesté cette expulsion, la préfecture nous a dit qu’elle avait été organisée par le procureur de la République, et que le préfet se trouvait sur place « par hasard »…

Société
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