À l’hôpital, « on ne peut pas y laisser notre peau »
La souffrance au travail est devenue le lot quotidien d’une majorité de soignants à l’hôpital public. Témoignages.
dans l’hebdo N° 1660 Acheter ce numéro

L’hôpital va-t-il craquer ? Un peu partout sur le territoire, des alertes commencent à poindre. Des départs en cascade sont annoncés, et tout particulièrement chez les professionnel·les en soins infirmiers. Car, si les augmentations salariales de 183 euros net par mois ont peut-être rendu certains postes plus attractifs sur le papier, le problème reste inchangé : l’hôpital public n’arrive pas à fidéliser son personnel.
Pour la plupart de ces salariés, l’inertie des directions hospitalières et du gouvernement est la cause de cette situation. Et après deux années de mobilisations intenses, une année de crise sanitaire et un Ségur de la santé raté, le moral est en berne. Les nouvelles fermetures de lits et l’absence de perspectives ont achevé de convaincre de nombreux·ses candidat·es au départ – jusqu’ici retenu·es par le gel des demandes de mise en disponibilité, contexte épidémique oblige. Certain·es évoquent l’épuisement professionnel, la perte de sens, un management en décalage avec les réalités du terrain, mais aussi la sensation que, puisque rien ne bouge, rien ne bougera.
Camille* 23 ans.Étudiante diplômée en soins infirmiers
Camille a obtenu son diplôme d’infirmière il y a quelques mois à peine, en Normandie. Mais elle préfère en rester là. « Je n’ai pas prévu d’exercer sur le terrain », résume simplement la jeune femme. Elle se dit que « c’est peut-être un peu égoïste », qu’elle aurait pu aider des équipes largement épuisées à sortir de situations compliquées. Mais elle n’est pas prête « à accomplir chaque geste médical dans la précipitation », ni à exercer comme elle a pu le faire à certains endroits, où « on fait comme ça parce qu’on n’a pas le choix ».
« En psychiatrie, par exemple, raconte Camille_, nous étions parfois obligé·es d’utiliser des linges de chambre pour réaliser des contentions sur les patient·es. Il s’agit déjà d’une pratique pas terrible, que l’on effectue en urgence, lorsque la personne représente un danger pour elle ou pour les autres. Mais devoir la pratiquer sans respecter les procédures, c’est encore pire et franchement déshumanisant. On fait mal à la personne qu’on doit attacher, on se fait mal aussi, et en plus ça ne tient pas ! »_
En médecine interne gériatrique, au cours d’un autre stage, « un responsable de service a demandé aux infirmières d’injecter un sédatif plus rapidement que prévu à une personne en fin de vie et qui n’en avait plus que pour quelques heures, assure la jeune diplômée. C’était pour qu’elle décède plus vite, pour libérer un lit… Parce que nous en manquions et qu’il fallait anticiper les