La déroute de la micronie

Malgré le duel annoncé comme certain pour 2022, le parti du Président chute, tandis que le RN recule partout. LR et le PS se rengorgent, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle non plus.

Michel Soudais  • 30 juin 2021 abonné·es
La déroute de la micronie
Les vainqueurs du jour, tel Xavier Bertrand, ont expliqué que leur réélection n’était qu’une étape dans leur marche sur l’Élysée.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Le second tour n’a pas chamboulé le premier. Ni remodelé la carte politique des régions. Les appels à la mobilisation des électeurs sont restés lettre morte. Alors qu’aux précédentes élections régionales la participation électorale était toujours remontée de 5 à 8,5 points au deuxième tour, elle n’a augmenté le 27 juin que de 1,2 point. L’abstention reste massive. À 65,31 % contre 66,72 % le 20 juin. 31 millions des 47,9 millions d’électeurs appelés aux urnes ont reconduit leur grève civique. Ce désintérêt confirmé des électeurs et des électrices, plus nombreuses à s’abstenir que les hommes, pour les régionales et les départementales ne s’explique pas seulement par « le covid-19 » et « la date de ce scrutin », comme Emmanuel Macron feint de le croire dans un entretien à Elle (1er juillet). La grande majorité d’entre eux a parfaitement intégré que la seule élection qui compte, la seule qui peut envoyer un grand coup de balai reste la présidentielle. Ce qu’ont renforcé les premières déclarations des vainqueurs du jour, tel Xavier Bertrand, en expliquant que leur réélection n’était qu’une étape dans leur marche sur l’Élysée.

Peut-on toutefois parler de « vainqueurs » quand tous se voient plutôt reconduits pour un nouveau mandat ? La droite conserve les sept régions qu’elle dirigeait, le PS ses cinq régions, avec l’un et l’autre les mêmes hommes et femmes à leur tête. Rien ne change. On prend les mêmes et on rempile… Sauf à La Réunion, où Huguette Bello, qui avait le soutien des députés LFI réunionnais, a arraché la région à la droite, après une fusion réussie avec deux autres listes de gauche. Sauf encore en Guyane, dont la collectivité territoriale est conquise par le député Gabriel Serville, soutenu par LFI et Génération·s, à la tête d’une liste d’union.

Largement éclipsées, les élections départementales enregistrent également un relatif statu quo. La droite et le centre, qui disposaient d’une très large majorité de 70 départements contre 33 pour la gauche (avec les Outre-mer) depuis les élections de 2015, en détiendront au moins 72 : ils ont remporté le Puy-de-Dôme, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ardèche et le Finistère, au PS depuis vingt-trois ans, et conquis le Val-de-Marne, le dernier fief du Parti communiste. Le PS et ses alliés ont toutefois récupéré la Charente et les Côtes-d’Armor, passées à droite en 2015. Dans deux départements, la majorité ne sera connue que lors de l’élection des présidents des conseils départementaux : le choix d’un élu centriste qui se veut indépendant peut faire rebasculer à gauche la Seine-Maritime, et dans le Vaucluse, le maire de Bollène, qui s’est affranchi du PS, arbitrera entre la gauche et la droite arrivées à égalité.

Alors que la participation était toujours remontée au deuxième tour, l’abstention est cette fois restée massive.

Dans un contexte inchangé par rapport au premier tour, la notoriété dont bénéficient naturellement les sortants, dont le nom est associé à toutes les initiatives et réalisations de leur collectivité, a encore été accentuée par l’absence de réelle campagne et de lisibilité des scrutins. Nombre de présidents de région, à l’instar de Laurent Wauquiez, n’ont pas hésité à mettre à contribution pour leur publicité les obligés qu’ils se sont forgés à coups de subventions, comme les maires des petites communes. La nette surreprésentation des votants âgés, plus portés au légitimisme, et l’absence de vote sanction – aucun des présidents de région n’était assimilé au pouvoir en place quand bien même plusieurs socialistes n’avaient pas caché voter Macron au premier tour de la présidentielle – ont également contribué à favoriser les sortants.

Cela n’arrange pas la majorité présidentielle dont l’absence d’assise locale en fait la grande perdante de ce double scrutin. Elle enregistre un résultat calamiteux qu’aucun exécutif n’avait jamais connu : 7 % ! C’est le résultat national des macronistes au second tour des régionales, après l’élimination de leurs listes dans trois régions au premier tour. Ce qui n’empêchera pas Emmanuel Macron de ne tenir aucun compte des résultats. Ses candidats, à l’exception d’Ary Chalus, qui a adhéré à LREM en cours de mandat et conserve la présidence de la région Guadeloupe avec 72,43 %, échouent partout à se poser en challenger ou en arbitre, et terminent bons derniers à la quatrième ou cinquième place.

Seule la ministre déléguée à l’Insertion, Brigitte Klinkert (LREM), améliore légèrement son score du premier tour (12,17 %, +1,4 point). Tous les autres enregistrent des pertes, le plus souvent au profit des candidats de la droite. C’est le cas de Marc Fesneau (MoDem), ministre des Relations avec le Parlement, qui n’obtient que 16 % en Centre-Val de Loire, de sa collègue du gouvernement Geneviève Darrieussecq (MoDem) en Nouvelle-Aquitaine (13,01 %), de François de Rugy dans les Pays de la Loire (8,2 %) ou Laurent Saint-Martin en Île-de-France (9,62 %), région où Manuel Valls et l’ancien président de la région Jean-Paul Huchon, deux ex-PS soutiens de Macron, avaient appelé à voter pour Valérie Pécresse pour éviter le péril de « l’extrême gauche ».

7 % C’est le résultat national des macronistes, inédit pour un exécutif.

Au final, la majorité présidentielle n’obtient en métropole que 120 conseillers régionaux environ (MoDem compris), dont une petite vingtaine élus sur la liste de Renaud Muselier (LR) en Paca. Aux départementales, l’échec est identique : si les ministres Sébastien Lecornu dans l’Eure et Gérald Darmanin dans le Nord sont élus dans leur canton, celui pour lequel Jean Castex siégeait au conseil départemental des Pyrénées-Orientales a, lui, été gagné par la gauche.

Avec 19 % au niveau national, l’extrême droite recule de près de 8 points par rapport à 2015. Une contre-performance de plus qui suscite déjà des doutes et interrogations au sein du Rassemblement national sur la stratégie d’ouverture et de banalisation de Marine Le Pen, alors que le parti tient son 17e congrès ces 3 et 4 juillet à Perpignan. Elle s’était personnellement engagée dans la campagne, la concevant comme un tour de chauffe et un point d’appui sur le chemin de la présidentielle. Les régionales, assurait-elle, à la veille du premier tour, devaient « confirmer que le RN est plus fort que jamais », oubliant une vieille maxime du chiraquisme agricole qui veut qu’on ne compte les bouses qu’à la fin de la foire. Résultat : le RN ne gagne aucune région et recule partout par rapport à 2015.

Il échoue en Paca, où son candidat « d’ouverture », l’ex-LR Thierry Mariani, a réuni au final 42,7 % des voix contre 57,3 % pour le LR Renaud Muselier, là où Marion Maréchal-Le Pen en rassemblait 45,22 % face à Christian Estrosi en 2015. Les revers sont particulièrement importants dans les Hauts-de-France, où la liste menée par Sébastien Chenu perd 22 sièges au conseil régional, et en Auvergne-Rhône-Alpes, où le RN perd la moitié de ses élus par rapport à 2015, passant de 34 à 17.

Cet échec fait suite à celui des municipales. Le mouvement d’extrême droite avait alors fait illusion en emportant Perpignan, une ville de plus de 100 000 habitants, tout en perdant nationalement 44 % de ses élus municipaux. Aux régionales, il perd 30 % de ses conseillers régionaux, passés de 358 à 252, dans une sorte de réajustement puisqu’il en avait perdu 28 % en cours de mandat, par démission ou scission, notamment dans les Hauts-de-France ou les Pays de la Loire. La sanction est identique aux départementales : avec 26 conseillers départementaux (62 en 2015) dans 13 cantons, dont Marine Le Pen élue à Hénin-Beaumont, le RN ne siège plus que dans 8 départements.

Pour Les Républicains et le Parti socialiste, ce paysage politique relativement figé a un parfum de restauration. L’un et l’autre se félicitent de voir la recomposition politique initiée en 2017 refluer. Et veulent croire que le duel annoncé entre Macron et Le Pen n’est plus inéluctable. La droite surtout, que Christian Jacob, le patron de LR, qualifie de « première force d’alternance ». « Maintenant, la présidentielle est un match à trois », a lancé Xavier Bertrand qui se rêve en candidat de la droite. Un espoir que caressent également Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse, pour ne rien dire de Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat. Dans ce camp politique, la compétition ne fait que commencer. Et promet d’être rude.