Le « moment Genet » enfin dans le texte
La Pléiade rassemble les romans et poèmes de l’ancien taulard, homosexuel provocateur et écrivain adulé par Sartre. En revenant aux textes initiaux, édulcorés à leur parution.
dans l’hebdo N° 1660 Acheter ce numéro

© JOEL SAGET / AFP
Emmanuelle Lambert et Gilles Philippe, avec l’aide précieuse d’Albert Dichy, non moins spécialiste de l’auteur de Querelle de Brest, auront sans doute eu plaisir à écrire dans leur introduction à ce recueil la phrase suivante : « On découvrira avec la présente édition ce à quoi auraient pu ressembler les œuvres romanesques complètes de Jean Genet si son époque avait été prête à les recevoir. » Publiés d’abord « sous le manteau » ou à compte d’auteur sous la forme de manuscrits ou de dactylogrammes, rédigés en prison ou entre deux incarcérations, tous ces romans et poèmes furent écrits durant une période « remarquablement brève », de 1942 à 1948. Car cet « ensemble narratif » est d’abord marqué « par une forte pornographie homosexuelle », mêlant milieux interlopes et plus aisés, prostitué·es, taulards, petits voyous, jeunes prolétaires fragiles ou victimes, figures de la classe dominante enfin, qui passent çà et là – ceux que Genet (1910-1986) nommera souvent « mes tortionnaires ».
Entre 1942 et 1948, « la littérature française a donc été comme contrainte d’accueillir un poison qui l’envahissait tout en la rejetant ». Avant un vrai long silence en termes de romans, tandis que Genet poursuivait l’écriture de pièces de théâtre. C’est bien lors de ce « moment Genet » que son « œuvre » vint secouer cette vieille dame littéraire très française, fort bien installée – et pas complètement indigne –, l’écrivain devenant « à la fois l’un des plus grands prosateurs du XXe