Procès de CRS : « Parce que vous êtes policier, vous avez tous les droits ? »

Ce mardi 22 juin, trois CRS comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer accusés de violences sur un associatif venu en aide aux migrants à Calais, et faux en écriture publique. Une histoire de violences policières camouflées, qui met en exergue les fragilités du système judiciaire.

Nadia Sweeny  • 24 juin 2021
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Procès de CRS : « Parce que vous êtes policier, vous avez tous les droits ? »
© Photo : CRS en opération à Calais (FRANÇOIS NASCIMBENI / AFP)

Bienvenu au procès des violences policières du quotidien ! « Une affaire à deux balles, un non-événement pour des gens qui font ça tous les jours et qui passent leur temps à courir derrière les migrants », plaide même Maitre Liénard, qui défend l’un des prévenus.

C’est aussi une affaire d’une banalité confondante pour tous ceux qui ont déjà été confrontés aux CRS : celle des coups de tonfa pour presser le pas d’une évacuation jugée trop lente, du coup de pied par derrière censé « accompagner » les « dégage ! » lancé au groupe qui ne présente aucune menace directe mais qui, ce 31 juillet 2018 aux abords de Calais, rechigne à abandonner toutes les affaires des migrants qui dormaient sous le pont, le long de la rocade. Ces mêmes affaires nommées « les immondices » par M., la cinquantaine, chef de la compagnie de CRS en charge de l’intervention, aujourd’hui accusé de violences. Un terme qui semble tout droit tiré de l’ordre qu’il avait reçu de sa hiérarchie. En ce petit matin de juillet, il faut évacuer des migrants rassemblés sous un pont, « pour que les services municipaux puissent nettoyer les immondices », raconte-t-il à la barre. Vient en tête les images des tentes lacérées par des hommes en combinaison de désinfection, tels des dératiseurs.

En ce milieu d’été, la hiérarchie demande au chef d’aller vite. Avec son équipage, il presse donc migrants et associatif. Coups de pieds et de tonfa partent, notamment sur une jeune femme. Thomas Ciotkowski, bénévole anglais de l’ONG « Help Refugee », s’écrit : « Ne frappez pas une femme ! » au chef M. qui le pousse sèchement. Le bénévole tombe de l’autre côté de la rambarde de sécurité, près des camions et voitures qui passent. Dans sa chute, il agrippe le chef qui dit avoir été entraîné à terre. Le bénévole anglais est interpellé pour outrage et violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique. Il risque trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Pour justifier cette interpellation, le chef M. porte plainte contre le militant, appuyé par deux collègues qui dénoncent insultes et agressivité de la part des bénévoles. Tous parlent d’une grande tension alimentée par les ONG, appelées globalement les « no borders » – en référence à un groupe anarchiste, sous-entendant qu’il s’agit exclusivement d’une lutte idéologique.

En 2019, Thomas Ciotkowski se retrouve donc devant le juge. Quelques semaines avant son procès, excédé par les mensonges des policiers, il porte aussi plainte pour violences, saisi l’IGPN, et surtout, transmets des vidéos… Et là, stupéfaction : le tribunal découvre que ce jour-là, il n’y avait aucune tension particulière, bénévoles et migrants prennent le chemin indiqué par les CRS qui les chassent avec brutalité. Les deux policiers témoins, venus en soutien de leur chef, sont bien obligés de reconnaître que rien ne justifiait, ni l’interpellation ni les coups. Mais refusant de reconnaître son erreur, le parquet demande quand même une condamnation du bénévole. Le juge ne suit pas : Thomas Ciotkowski est relaxé.

Deux ans plus tard, les trois policiers sont désormais sur le banc des prévenus, accusés de violences et de faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique, uncrime puni de 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d’amende. Le bénévole n’a pas pu venir : coincé en Angleterre par la crise sanitaire. L’IGPN de son côté, a rendu un rapport au vitriol : il n’y avait aucune tension particulière pendant l’intervention, les faits de violences policières sont constituées.

À la barre, le chef M. reste pourtant droit dans ses bottes. Il ne comprend pas ce qu’il fait là. Il évoque la pression de sa hiérarchie pour que l’évacuation aille vite :

  • Si ces personnes avaient été coopérantes il nous aurait fallu moins de 5 minutes pour les évacuer.
  • Ils ont le droit de ne pas être ravis de vous voir, Vous pouvez l’entendre ? demande le ministère public.
  • Leur rôle n’est pas de s’opposer

La procureur le questionne :

Vous donnez des coups, vous insultez (dans la vidéo, on entend dire « putain d’anglais ») et, en plus, vous avez le droit d’interpeller parce que vous êtes policier : donc vous avez tous les droits ?! Vous vous rendez compte de l’image que ça renvoie ?

Alors que le chef campe sur ses positions, prétend, même après visionnage des vidéos qui réfutent sa version, que le bénévole a bien tenté de l’agripper et donc maintien qu’il s’est défendu, les deux autres sont moins catégoriques. D’autant qu’on finit par apprendre qu’ils étaient à plusieurs dizaines de mètres de la scène et que, par conséquent, ils n’ont pas pu voir grand-chose.

La perception, le ressenti et le rapport à la réalité, ont été au cœur des débats. Les policiers semblent avoir développé un grand sentiment de persécution qui induit un laxisme dans leur évaluation de la légitimité de leur violence et une facilité à considérer que les bénévoles sont agressifs, et eux, en légitime défense. Ils parlent de « coups montés » organisés par les ONG pour les « piéger » en les filmant et semblent tout à fait sincères lorsqu’ils minimisent la violence des coups lancés pour évacuer.

  • Pour moi il y a des degrés de violence, explique l’un des CRS témoins, accusé de faux. Ce n’est pas fait pour violenter, frapper ou nuire, mais pour accélérer la cadence.
  • Un coup de pied c’est violent, s’étouffe Madame le procureur. Jamais ce n’est un geste bienveillant ! ça serait donc pour vous, la force strictement nécessaire ?
  • Non, finit-il par répondre.

Puis elle reprend.

  • Vous étiez au volant d’un camion à 50 mètres. Dans votre déposition – en soutien à la plainte du Chef M., ndlr – Vous dites des choses que vous n’avez pas vu !
  •  Je vois de loin M. Ciotkowski très proche de mon chef, se souvient-il. Alors quand mon chef me dit « il m’a poussé » je fais le lien malgré moi.
  • Donc, on affirme sans avoir vu et on poursuit ! s’agace le parquet. Vous pensez quoi des poursuites contre M. Ciotkowski ?
  •  Je comprends sa relaxe.
  • Mais vous avez joué un rôle dans sa poursuite…
  • Malgré moi. J’étais persuadé de ce qu’il s‘était passé. Quand j’ai vu la vidéo, je suis tombé de haut.

La vengeance du parquet ?

Cette torsion de la vérité par les policiers, met le ministère public dans une position particulièrement inconfortable. « J’ai un appel, on me dit qu’il y a eu des insultes, qu’il y a des témoins policiers qui attestent des faits, qu’il n’y a pas de doute : que suis-je censé faire ? s’énerve la procureur en s’adressant aux prévenus. En qui suis-je suis censé avoir confiance ? » La fragilité du système judiciaire tout entier apparaît alors béante. « Ils sont nos yeux et nos oreilles : on doit être en mesure d’avoir des saisines claires et objectives pour prendre des décisions grave de conséquences : là il s’agissait de poursuites contre un individu. Or cette saisine ne reflète pas la réalité. » Plaide-t-elle.

La situation du parquet est d’autant plus inconfortable que c’est sur les mêmes éléments – les vidéos transmises par les bénévoles – qui l’avait conduit, deux années plus tôt, à demander la condamnation du bénévole, qu’aujourd’hui, il réclame six mois de sursis et un an d’interdiction d’exercer pour les deux témoins CRS accusés de faux, ainsi que douze mois de sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer pour le chef M.. « Le parquet s’est planté, il se venge sur les policiers », en déduit Maitre Liénard, en défense.

Verdict : le 2 septembre.

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